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L’Europe dans le Sahel : la culture de l’impuissance ?

, par  Pierre d’Herbès , popularité : 3%
Cet article provient d'une source externe à NJ sans autorisation mais à titre d'information.
Article publié début décembre 2022

Un coup dur pour la mission de l’ONU, déjà privée cet été de l’appui déterminant de l’opération Barkhane. Outre la recrudescence des attaques et des violences intercommunautaires, l’Europe est aussi menacée de voir son influence régionale diminuée au profit de ses compétiteurs stratégiques.

Pendant quelques mois, Berlin avait fait planer le doute sur ses intentions, jusqu’à envisager officiellement, en mai, l’augmentation de ses effectifs déployés sur le théâtre malien.

Finalement, l’Allemagne a annoncé son retrait de la Minusma d’ici au début de l’année 2024. Elle prend la suite des Britanniques qui ont indiqué leur retrait à la mi-novembre, ainsi que des Suédois (février). À noter que l’Égypte, la Côte d’Ivoire et le Bénin, trois alliés de la France, ont aussi annoncé leur départ.

En parallèle, la mission européenne de formation de l’armée malienne, EUTM Mali, se réduit aussi. Ses effectifs de 500 hommes ont été réduits cet été à 300 par Bruxelles. Ses effectifs étaient majoritairement fournis par l’Allemagne et l’Espagne. Le départ allemand de la Minusma et la dégradation des relations entre l’Europe et le Mali ne laissent que peu de doutes sur la pérennité de la mission sur le long terme. La République tchèque a initié un premier mouvement en ce sens, au début du mois de novembre, en indiquant son retrait de la mission.

L’impuissance européenne

La mauvaise volonté du gouvernement malien et sa collaboration avec les mercenaires de l’agence russe Wagner sont en partie à l’origine de ces départs en cascades. On peut aussi y voir un soutien à la position française vis-à vis du régime de transition malien. Le départ cet été des derniers soldats français du Mali a également rappelé à la Minusma et aux forces européennes leur dépendance opérationnelle à l’opération Barkhane. De facto, toutes les rares forces déployées par des pays européens dans le Sahel étaient dépendantes de la France. Non seulement les missions EUTM et la Minusma mais aussi la Task Force Takuba. Sans compter les 300 combattants britanniques, danois et estoniens intégrés organiquement à l’Opération Barkhane.

Or c’est bien le nœud du problème : indépendamment des services parfois décisifs qu’ils peuvent fournir les pays européens ne peuvent rien militairement sans l’intervention d’une nation cadre. Et l’ Occident n’en compte que deux : les États-Unis et France. L’esprit de défense est par ailleurs singulièrement bas : dans le cadre de la Minusma, l’Allemagne refusait que ses soldats soient mis en danger tout en peinant à trouver un accord au niveau politique dans le degré de son implication. Un facteur limitant largement la palette opérationnelle de Berlin et son utilité aux côtés de Paris.

Perte d’influence européenne

Ce retrait progressif de l’Europe dans le Sahel est symbolique de la perte d’influence mondiale de l’Europe.

La guerre d’Ukraine dans laquelle le continent est plus spectateur qu’acteur en est l’expression la plus flagrante. La sous-région du Sahel n’en demeure pas moins un enjeu stratégique car la guerre d’Ukraine n’a pas fait disparaître l’instabilité structurelle de la région et les risques qu’elle fait peser sur l’Europe. Au Mali comme au Burkina Faso, les attaques des groupes armés terroristes et les violences intercommunautaires s’amplifient à mesure que la réponse internationale (Barkhane, Minusma, EUTM) s’affaiblie. La menace métastase et commence à s’implanter vers le nord du golfe de Guinée (Côte d’Ivoire, Ghana, Togo, Bénin).

Parallèlement, d’autres pays s’y affirment, comme la Russie via le groupe Wagner. En collusion avec Moscou , l’Algérie tente actuellement de réactiver ses structures de commandement « multilatérales », le Comité d’état-major opérationnel conjoint (Cemoc) et l’Unité de fusion et de liaison (UFL), qui avaient été marginalisées par l’opération Barkhane et la mise en place du G5 Sahel. Alger a toujours considéré la zone comme sa chasse gardée. La Turquie tente, elle aussi, de s’y implanter. La montée en force régionale de ces puissances revient à déléguer une partie de la sécurité de la France et de l’Europe à des compétiteurs stratégiques. Sans compter la simple perte d’influence. Déjà des narratifs anti-allemands et anti-italiens commencent à se développer.

La crise n’est pas terminée

Comment se présentent les évènements ?

Paris recompose aujourd’hui son dispositif autour du Niger et du Tchad. Les relations sont restées très bonnes avec ces pays tout comme avec la Mauritanie. Dans les mois qui viennent, l’opération Barkhane devrait disparaître au profit de nouvelles modalités d’intervention.

Selon les déclarations d’Emmanuel Macron au début du mois de novembre l’armée française gardera 3000 soldats dans la région mais n’agira plus qu’en accompagnement des forces de ses partenaires. À voir les modalités concrètes : car ces dispositions sont proches de celles formulées par le sommet de Pau en janvier 2020. C’était d’ailleurs la raison d’être de la Task Force Takuba .

Parallèlement, l’effort européen apparait, sans surprises, assez minime. Bruxelles réfléchit à déplacer la mission EUTM au Niger. De son côté l’Italie dispose toujours de sa mission (CIMIN) de coopération et de formation de l’armée nigérienne. Mais la situation n’est pas figée.

Il n’est pas impossible que la France temporise avant de se doter d’un nouveau plan d’action. Dans le cas contraire on peut penser que Paris n’aurait pas gardé autant de personnels sur place : le même nombre qu’au début de l’opération Barkhane en 2014. Or, la « saison fraiche » est de retour et les attaques vont se multiplier. Il n’est pas interdit de voir la situation se dégrader rapidement au Mali, sans que le groupe Wagner puisse s’y opposer. Déjà depuis quelques mois, la situation du régime de Transition apparait de plus en plus précaire .

La France pourrait alors être amenée à intervenir de nouveau, avec une légitimité réaffirmée. Avec, on l’espère, une doctrine d’influence et de maitrise de son environnement cognitif plus élaborée qu’auparavant : sa seule véritable erreur ces dernières années.

Voir en ligne : https://www.contrepoints.org/2022/1...