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GERMAIN DIT "CAMEMBERT"

, par  popodoran , popularité : 5%
Cet article provient d'une source externe à NJ sans autorisation mais à titre d'information.

Note : Un grand merci à ceux qui ont ouvert leur mémoire pour raviver la mienne et permis l’écriture de cet article.

Maman m’a bien dit de ne plus aller à la pêche, mais je ne sais plus si elle m’a interdit le port ou la cueva l’agua et puis il y a des pertes de mémoire qui m’arrangent.

En cette fin d’été qui s’étire langoureusement, il fait chaud, toute la bande est un peu éteinte et se traîne dans la rue, engourdie par la chaleur.

- Et si on allait prendre un bain ?

- Ça c’est une idée qu’elle est bonne !!

Le temps de récupérer une serviette et nous voilà en route.

L’idée de faire un capuson dans la grande bleue nous donne des ailes.

En moins de temps qu’il ne faut pour le dire nous dévalons la rue Floréal Mathieu, la rue Alsace Lorraine, la rue de la vieille mosquée, je tourne la tête vers la Banque d’Algérie pour ne pas regarder le Lycée Lamoricière qui sera ma destination quotidienne dans quelques jours.

Bernard qui traîne un peu la patte à cause de ses tchanclettes toutes neuves nous apostrophe :

- On pourrait prendre un car de la S.O.T.A.C.

- T’as des sous ?

- On le prend aouf.

- Et on se retrouve au commissariat y vinga palos.

- « Baja del bourro y anda por patas » nous sommes presque arrivés, la passerelle des ponts et chaussées et le port nous tend les bras.

- Vous pouvez pas parler français, qué letché !!

- D’accord, descends du bourricot et marche à pied si tu préfères.

Nous voilà sur le port ou une légère brise fait frissonner l’onde, Quai de Rouen, le Marie-Louise Schiaffino est solidement amarré, bien calé par les défenses qui protègent la coque du bateau et les pierres du quai.

Ce magnifique fleuron de la flotte Schiaffino est un cargo semi-pinardier, d’où la forte odeur de vinasse qui flotte sur le quai.

- Regardes, dit Norbert, Le Marie-Louise Schiaffino

- Dis-moi une autre comme ça, c’est écrit si gros que même un lagagnoso il pourrait le lire.

- Peut être, mais moi du boulevard front de mer je le reconnais avec ses quatre mats qui font portiques, il peut charger 6500 tonnes de fret, et pas que du pinard, regardes, il y a mêmes de Jeeps.

- Qu’est-ce qui se passe la bas au pied des bâtiments ?

En effet un attroupement d’où fusent des rires et des applaudissements attire notre attention :

- Regardez c’est Germain

- On y va ?

- Pos bien sur

Il y a là, des dockers, des transitaires, des jeunes filles, secrétaires ou comptables, des marins qui entourent, deux personnages hauts en couleurs.

Germain coiffé de son éternel chapeau, aussi crasseux que sa la longue blouse qui a dû être blanche un jour, mais bariolée par la crasse et les taches de peinture, ressemble à un arc en ciel sous un ciel d’orage. Une bouteille d’un litre laisse son goulot dépasser de la poche droite.

Le deuxième nous est inconnu, il arbore une fine moustache en forme d’accent circonflexe, avec dans son dos une drôle de guitare bricolée avec un bidon d’huile, un manche à balais et des fils de pêche en guise de corde

- C’est qui lui ? Demande Bernard à un transitaire.

- Oh les enfants vous ne connaissez pas François notre célèbre « Va et vient » le plus connu des clochards de la marine ? Et bien profitez en car c’est pas souvent qu’il traîne par ici.

En fait les deux clochards sont venus dans l’espoir d’obtenir un ou deux litres de vin et les mandataires les font s’opposer dans une joute bon enfant.

Germain se racle la gorge et entonne une Tyrolienne endiablée ou les troulalaiitous se succèdent harmonieusement le tout accompagné de gestes suggestifs qui font rigoler l’auditoire.. Une salve d’applaudissements salue la performance.

- « Va et vient », « Va et vient » scande le public.

« Va et vient » sent qu’il doit faire mieux, il prend sa guitare pittoresque, fait semblant de l’accorder et entonne :

« Ils sont dans les vignes et les moineaux (bis)

ils ont mangé les raisins,

ils ont chié tous les pépins

Si ma chanson vous emmerde merde (ter)

Histoire de vous emmerder

Je vais la recommencer...

Puisqu’il fait si chaud

Mets ton grand chapeau

Nous irons dans les bois

Chéri comme autre fois

Et tu t’en dormiras entre mes bras »

Les applaudissements redoublent et l’un des mandataires qui semble être le meneur de cette petite manifestation prend la parole :

- Bon les artistes notre jury a délibéré et pour le chant il vous classe ex æquo.

Mais pour gagner les cinq litres de vins il va falloir que chacun nous montre ses talents de peintre ou de sculpteur

- T’exagère Pépico cinq litres seulement ! J’ai porté une bombonne de dix litres et il va tourner le vin s’il y a trop d’air au-dessus, bon c’est bien parce que c’est vous, je vais vous faire un tableau de « Va et vient »

A quatre pattes par terre sur le goudron du quai, notre Germain national entreprend avec des craies de couleurs une grande fresque où Va et vient, plus vrai que nature, est reproduit à un vitesse étourdissante, avec la paume de sa main et ses doigts il estompe, souligne un trait, donne des ombres. Le dessin prend forme et la ressemblance est saisissante.

L’attroupement salue le bel ouvrage par des vivas, Bébert salue son public en écartant sa blouse comme pour une révérence et tout le monde éclate de rire en tapant des mains

- A toi Va et vient, qu’est-ce que tu nous proposes ?

- Il me faut de la mie de pain et un peu d’eau.

Une grosse miche et un seau d’eau sont apportés, Va et vient échauffe ses doigts en faisant des grimaces qui font pouffer de rire l’auditoire.

Il extrait de la poche droite du pantalon, une navaja qu’il déplie d’un geste sec et décortique la boule de pain, il en extrait la mie, se mouille les doigts et commence à la pétrir pour en faire une pâte solide.

Ses phalanges virevoltent sur la pâte, assemblent, creusent, avec ses ongles il peaufine les détails, un personnage prend forme. Le public est pour une fois silencieux et suit avec attention la dextérité des mains de l’artiste. L’oeuvre prend l’apparence d’un santon de vingt-cinq centimètres de haut.

Personnage d’une crèche de la nativité ?.

Il fignole avec son couteau, creuse les traits, enlève le superflu, la statuette se profile de plus en plus précisément, d’une poche de sa veste il fait jaillir un morceau de charbon et donne les touches finales à son personnage.

C’est Germain !! murmure l’attroupement, tout y est la blouse et le litron qui dépasse de la poche, la tête est remarquable et si ressemblante que l’on pourrait croire qu’un sorcier Jivaro à réduit notre Germain national.

Il fait une pirouette en présentant son travail sous les applaudissements et les cris du public.

- C’est quoi cette ficelle qui dépasse de la blouse ?, demande une jolie morénica d’une vingtaine d’années.

- Ça c’est le bouquet final, guapa, tirez la ficelle !

La jeune fille s’exécute, la blouse de la statue s’écarte et une énorme pitcha se dresse entre les pans de la blouse, saisie de surprise et de honte la fille lâche la statuette , heureusement Germain la récupère au vol.

Tout le monde est plié en deux et rigole à s’en décrocher la mâchoire.

Germain en est soufflé, il prend François dans ses bras. Ils entament un fougueux tango qui fait crouler de rire tout le monde.

- Bravo messieurs match nul veuillez me suivre pour recevoir votre récompense

- Terminé mes amis, la récrée est finie, le Marie Louise appareille ce soir et il y a pas mal de boulot qui nous attend.

Tout le monde retourne vaquer à ses occupations, et nous tapons un sprint jusqu’au pédrégal et arrivés à Navalville nous plongeons avec délice dans la mer.

Nous sommes en train de sécher sur les rochers, quand une question de Bernard nous sort de la douce torpeur qui nous avait envahie :

- Mais pourquoi on l’appelle camembert à Germain ?

- Oh Bernard t’es enrhumé ou quoi ?

- Moi enrhumé ?

- Tu as rien senti, il sortait pas de chez Lorenzi Palenca, le parfumeur, notre Bébert il a du faire un plongeon dans les cuves à Jonca, les camions qui pompent la merde.

- Purée qué pesté, t’as vraiment le nez bouché et c’est pour ça qu’on le nomme camembert parce qu’il pue comme un vieux « Toukrem » trop fait.

- Tu te rappelles René quand on a été au TIVOLI voir les 100000 cavaliers, après le film on a voulu faire une partie de sport-foot au bar le penalty

- C’est vrai, Camembert repeignait la façade, nous étions en pleine partie, Germain est entré dans le bar, en clignant son oeil guidch, celui qu’il s’est brûlé en peignant un mur à la chaux et il a dit à Georges le fils du patron :

- C’est tout ce que tu as à faire avec cette bande de zazous de la niche à poux, fais-moi voir ton cahier de devoirs de vacances.

- Ouais et il a corrigé tous les exercices de Georges, nous on en revenait pas.

- Bon les gars, vous avez vu l’heure il faut remonter si on veut pas que les parents nous apprennent à nager avec un martinet.

Pour aller plus vite nous grimpons le « caminito de la muerte » qui mène aux falaises de Gambetta avec beaucoup de chance une camionnette nous prend en stop et nous largue rue d’Arzew.

Après une bonne douche, pour enlever toute trace de sel, car maman est très maline et si elle trouve un goût amer en me faisant une bise ?aïe, aïe, aïe,..

Me voici dans la rue.

Un attroupement inhabituel en tête de la station de taxis et des éclats de voix.

Et qui est la ? notre ami Germain en grande discussion avec les chauffeurs.

- Alors Germain t’as tapé dans la gourde ?

- Je vous demande moi, bandes de gandouls, dans quoi vous avez tapés

- Nous des gandouls ?

- Vous devez pas vous salir beaucoup les mains le cul sur votre fauteuil et même pour laver les voitures c’est Kader qui se tape les sale boulot et toi Kader enlève ta chéchia que tu vas asphyxier les poux et comme ça tu ressembles à une bouteille cachetée.

Deux musulmanes, drapées dans leurs immaculés draps blancs ne laissant apparaître qu’un oeil, traversent le carrefour, aussitôt Germain ne peut s’empêcher de faire une remarque en les montrant du doigt :

- Il va y avoir une régate au port, les barques à voile sont de sortie.

Puis montrant du doigt les chauffeurs de taxi :

- Quant à vous, la France est bien basse en ce moment et c’est pas des gandouls comme vous qui allez la relever !

Et sans attendre de réponse il fait une pirouette, et de son pas vif avec ses pieds écartés il s’engouffre sous les arcades de la rue d’Arzew, faisant de grands gestes et apostrophant tous les passants.

René Mancho l’Oranais

Note de l’auteur (Germain et François dit va et vient ont tous les deux été victimes du terrorisme après les accords d’Evian)

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Voir en ligne : http://popodoran.canalblog.com/arch...