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Et ils mirent Dieu à la retraite par Didier Le Fur

, par  Franck ABED , popularité : 6%
Cet article provient d'une source externe à NJ sans autorisation mais à titre d'information.
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Didier Le Fur est historien. Il a déjà commis des biographies remarquées : Louis XII, Charles VIII, Henri II. Son François Ier fut acclamé par la critique, tandis que son livre consacré à Diane de Poitiers a reçu le Grand Prix de la biographie politique 2017. Avec son dernier opus, sous-titré Une brève histoire de l’histoire, il étudie avec sérieux et minutie la place, l’écriture, le statut et la réception de l’Histoire. Il démontre que l’Histoire a continuellement évolué pour aboutir aux formes connues actuellement.

Dès les premières pages, l’auteur écrit : « Je fis le constat que l’histoire était particulièrement mouvante, et donc finalement peu certaine puisqu’elle pouvait être réécrite régulièrement sans que les connaissances nouvelles puissent justifier ces modifications : elle était souvent le simple reflet des opinions des auteurs qui la rédigeaient, ou le témoin d’un regard collectif que l’on avait décidé de porter sur elle.  » Cette phrase illustre bien la difficulté et la nécessité de distinguer l’Histoire du roman national, l’étude historique de la propagande officielle. Or, depuis les temps les plus reculés, l’Histoire a souvent été agitée par les puissants à des fins de domination politique, économique, culturelle et religieuse.

En partant de ce constat, que l’histoire pouvait être écrite et réécrite sans justification scientifique, Le Fur pose une interrogation lourde de sens : « Comment prétendre alors que l’Histoire était une science qui, pour qu’elle le soit, devait être conduite par des règles communes à tous et applicables par tous ? » Il prolonge avec pertinence sa réflexion de la façon suivante : « Mais peut-être l’histoire n’avait-elle pas toujours été une science ? Dans ce cas, quand l’était-elle devenue ? Et pour quels motifs ?  » De fait, l’auteur déclare sans ambages : « Parce qu’aucun livre ne répondait franchement à ces questions d’idiot, je me suis décidé à le faire. Il est ce qu’il est, mais il m’a finalement été utile. » Il ne s’agit cependant pas de questions idiotes, loin s’en faut. Son livre permet de lever le voile sur les sujets complexes précédemment évoqués.

En réalité, l’éminente qualité d’historien ne se résume pas à une question de diplômes ou à une éventuelle reconnaissance médiatique voire étatique. Être historien revient avant tout à agir en historien. Cela signifie donc étudier et confronter les sources. Ces dernières peuvent être très variées : tableaux, pièces, armes, timbres, cachets, mémoires, notes, lettres, correspondances, photographies, vidéos, etc.

Pourtant, durant une très longue période, l’Histoire et les hommes se sont passés d’historiens, et plus encore d’historiens critiques. Dieu suffisait car Il inspirait les esprits ; vivre suffisait, car la vie était vécue avec élan, sans introspection suspicieuse et nombriliste. Puis sont apparus les poètes, les hommes de lettres et les religieux. Ils ont raconté par diverses manières l’origine de l’humanité en partant tous du principe que Dieu avait tout créé. Les questions métaphysiques sur Dieu et la création de l’univers arrivent après. Et la boîte de Pandore du moi fut ouverte. De légitimes interrogations laissèrent la place à la contestation, puis au rejet de Dieu, de l’ordre social, de la nature, de la réalité de l’homme. Descartes, Spinoza, Vico, Voltaire, Lessing, Condorcet rejetèrent l’histoire telle qu’elle fut acceptée à leur époque. Les découvertes scientifiques et les progrès techniques – notamment le mécanisme – accentuent cette idée d’une humanité affranchie de la création divine perçue comme un joug. Il existe ici un énorme paradoxe, car la très grande majorité de ces découvertes scientifiques sont l’œuvre de clercs ou de laïcs croyants.

Dès le XVIIème siècle – mais les prémices de cette révolte intellectuelle émergent en réalité au XVème – l’histoire classique ou ancienne se voit considérer comme une fable, un opium à l’usage du bas-peuple. Les miracles sont, au mieux, vus comme des contes, au pire comme des énormes mensonges. Les philosophes tournent en ridicule l’idée de Dieu et la notion même de providence divine. Enfin, les textes bibliques perdent ce caractère sacré pour devenir des écrits comme les autres.

Didier Le Fur montre que l’Eglise tente de résister à ces différents assauts. En effet, Spinoza et Voltaire mettent toute leur énergie à détruire les textes de l’Ancien Testament, pour attaquer les fondements intellectuels et moraux sur lesquels repose la monarchie chrétienne, ainsi que l’égalité du genre humain, hommes, femmes et enfants, de toutes races – doctrine à leurs yeux scandaleuse qui résulte pourtant de la lettre et de l’esprit de la Genèse. Bossuet contre-attaque en promouvant la vision de l’Eglise : « Comme le judaïsme dont il est issu, le christianisme est une religion historique, révélée dans le temps. Il enseigne que des événements, de la Création à l’Apocalypse, y sont advenus ou y surviendront. Le cours du temps a donc un sens, une unité, et signe qu’il n’est pas illimité. Le temps chrétien a un début, un milieu et une fin : soit la naissance du monde et la chute de l’homme, la venue du Fils et son sacrifice, l’attente du retour de celui-ci et la rédemption finale du péché humain. Au milieu se situe l’histoire de l’homme entièrement dépendante des volontés de Dieu. »

Les premiers contempteurs à démonter le discours catholique sur l’histoire sont les Philosophes. Avec de nombreux arguments et de pertinentes explications, l’auteur démontre que les opposants à cette vision théologique et historique critiquent, sans pour autant conceptualiser l’Histoire qui serait conforme à leurs vues. La démonstration se montre imparable. Depuis le XVIIème jusqu’au XVIIIème siècle, cette histoire « divine » subit des attaques et des moqueries sans pour autant être remplacée dans la sphère intellectuelle : « La religion romaine traditionnelle était une nouvelle fois montrée du doigt, rendue responsable de l’aveuglement de l’homme, de sa persistance dans l’ignorance de son droit. Elle revêtait ainsi, pour toujours plus de gens, un caractère monstrueux. »

Il faut donc attendre le XIXème pour que les historiens s’affranchissent radicalement de Dieu pour bâtir une nouvelle histoire. Or, si ces créateurs chassent Dieu, ils le remplacent par des idoles : bonheur, progrès, science, technique. En définitive, l’histoire dépend encore et toujours de nouveaux maîtres. Par la suite, comme l’expose très bien l’auteur, l’Histoire reste au service des dominants à des fins politiciennes. Michelet incarne encore à ce jour le meilleur exemple de cette école de pensée. Il construit une histoire militante et partisane dans laquelle le Moyen-Age a malheureusement mauvaise presse. Il invente la «  Renaissance » pour dévaloriser encore plus les Temps Féodaux. Guizot écrit et compose sur les civilisations : « Il était convaincu que le développement social et moral étaient intimement liés, même si parfois ils ne marchaient pas à la même cadence  ». Ses travaux justifieront… le colonialisme ! En fin de compte, sans une authentique formation à l’histoire des idées, une profonde humilité et une honnêteté intellectuelle, on peut faire dire beaucoup de choses à l’ « Histoire », le tout et son contraire.

La vraie question aujourd’hui, comme l’indique un des chapitres du livre est : Mais que faire du passé ? Le passé doit-il expliquer le présent ? Le justifier ? Le passé représente-t-il un idéal à atteindre ou un modèle à dépasser ? De même, ce passé doit-il être organisé ou hiérarchisé ? Et surtout comment l’enseigner ? Ces questions ont hanté les penseurs, les intellectuels et les érudits des siècles passés. A bien y réfléchir, elles peuvent faire encore débat… N’oublions jamais que des gouvernements ont tenté, dans un passé très récent, de figer l’histoire par la force législative. Heureusement, certains historiens se sont levés contre cette forfaiture intellectuelle et morale.

Il va de soi que Le Fur ne peut être considéré comme un candide. A le lire, nous comprenons parfaitement que l’histoire ne souffre jamais d’un excès de neutralité car elle reste, en tant que discipline, un outil de lutte politique et idéologique. Il n’hésite pas à écrire un propos démontrant sa grande lucidité : « Personne n’a trouvé les lois de cette histoire parfaite, définitive. Jamais, non plus, elle ne réussit à réaliser ce qui habitait l’imaginaire des philosophes de l’histoire (rassurer collectivement sur la raison de l’existence humaine et contribuer à apaiser la peur de la mort), par une vie sans Dieu. »

Ils ont mis Dieu à la retraite, mais comme l’avait dit le Curé d’Ars en son temps : « Laissez une paroisse vingt ans sans prêtre, on y adorera les bêtes. » L’explicitation de cet inextinguible besoin de paix intérieure chez l’Homme se trouve remarquablement net dans cette citation. A notre époque qui se dit (et se croit peut-être) aussi moderne, éclairée, démythologisée, scientifique, rationnelle et objective, les Hommes croient pourtant en tout et n’importe quoi, sans pour autant connaître la paix avec autrui ni la sérénité personnelle : le succès croissant des horoscopes, marabouts, et spirites – y compris dans l’ « élite » intellectuelle ou sociale – le prouve assez. Etait-ce pour autant mieux ou pire avant ? L’Histoire nous aide à y avoir plus clair… à condition de ne pas vouloir y trouver ce qu’on veut.

Cette brève histoire de l’histoire passionnante et dense sur le plan intellectuel ravira tous les passionnés d’histoire. Elle permet de comprendre les grands enjeux intellectuels et moraux que soulève l’Histoire, ainsi que les nombreux débats historiques qui en résultent. Depuis la fin de la Deuxième Guerre Mondiale, de nombreux historiens professionnels se sont transformés en de véritables ayatollahs, tout en revendiquant l’étiquette de scientifique. Loin de favoriser la science historique ou la philosophie de l’histoire, ils transforment l’Histoire en une nouvelle – fausse – religion légitimant les régimes ou les modes successifs. Nous nous retrouvons face à des nouveaux mais faux inquisiteurs, car ils ne sont pas animés par le souffle divin et la réelle transcendance. Le solide et bon sens critique du peuple a ainsi été peu à peu gavé par le prêt-à-penser, et remplacé par le politiquement correct, cette fameuse doxa. Ceci sacralise – sous des protestations d’objectivité républicaine et laïque – la mise à mort de l’histoire : à la fois comme vie spirituelle et collective à travers les âges, et en tant que science. Le Fur a parfaitement compris que le conformisme mine profondément l’intelligence. Et ils mirent Dieu à la retraite permet d’éviter de succomber à ce grossier et banal piège intellectuel.

Franck ABED

Voir en ligne : https://franckabed.com/2019/06/04/e...