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Ce monument que les "Pieds Noirs" d’Alicante ont offert à la ville en 2014

, par  Manuel Gomez , popularité : 9%
Cet article provient d'une source externe à NJ sans autorisation mais à titre d'information.
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en signe de gratitude est situé dans un endroit privilégié de « La Explanada ».

Quand la modernité vient d’Algérie : ce qu’Alicante (Espagne) doit aux "Pieds-Noirs".

L’historienne Mariana Domínguez analyse le fort impact économique et modernisateur que l’arrivée et l’installation de milliers d’exilés ont eu sur la ville et la Costa Blanca après l’indépendance du pays.

"À Alicante, un scénario différent les attendait, (Rien de comparable avec l’accueil que leur réservait la France, notamment à Marseille et le « bafouilleur » Gaston Defferre). Ici un accueil chaleureux, une terre familière, semblable à une maison perdue, la possibilité d’une vie meilleure grâce aux subventions ou aux pensions françaises, l’occasion de participer une fois de plus à la création d’un monde dans lequel beaucoup restait à construire".

Ce sont les mots de Mariana Domínguez Villaverde, de l’Université Grenoble-Alpes et docteur en histoire de l’Université d’Alicante, qui a donné la semaine dernière la conférence "Le rôle des pieds-noirs dans l’économie d’Alicante" à l’Université d’Alicante, un événement organisé par La Maison de France à Alicante.

La décolonisation de l’Algérie en 1962 a jeté des milliers de Français, dont des Espagnols, dans une nouvelle vie loin de la terre qu’ils avaient fait leur. On a beaucoup écrit et parlé de l’impact sentimental de cet exil, mais on a moins parlé de l’impact économique qu’il a eu sur Alicante, l’un des principaux ports -physiques et métaphoriques- d’accueil de ces voyages sans retour.

L’installation des Européens d’Algérie a eu un fort impact économique, politique et culturel sur la région. Comme l’explique Mariana Domínguez, "il s’agit du premier phénomène d’immigration massive - étrangère - en Espagne, coïncidant avec un processus de mobilité interne motivé par la restructuration de l’économie nationale, qui a entraîné un déséquilibre entre les régions et entre les zones urbaines et rurales".

L’indépendance de l’Algérie, qui était à la fois un mouvement de libération et un mouvement révolutionnaire, a entraîné l’exode de plus d’un million de personnes vers l’Europe. Ce déplacement massif a eu lieu principalement autour de 1962, mais a été suivi de vagues ultérieures en provenance d’Algérie, motivées par l’instauration du socialisme dans la nouvelle république.

La plupart des Européens d’Algérie se sont installés en France en tant que rapatriés, mais un nombre considérable d’entre eux ont choisi d’autres destinations, notamment l’Espagne.

Le chiffre traditionnel de 30 000 pieds-noirs à Alicante n’a pas été confirmé, explique l’expert, "mais les documents du consulat français de Valence et d’Alicante indiquent qu’environ 20 000 personnes se sont installées dans la province dans les années 1960". (Très nombreux, pour des raisons que l’on comprend facilement, ne se sont pas déclarés dans un premier temps mais ont régularisé par la suite !))

L’Espagne de Franco entre dans le développementalisme - dont les prémices reposent sur le plan de stabilisation de 1959 - et tente de se positionner dans le nouveau panorama international. La clé de son insertion et de sa reconnaissance par les puissances étrangères réside, en partie, dans sa politique économique, dont l’un des piliers est la migration.

Il y a eu un changement de direction dans la politique migratoire de Franco, qui s’est concrétisé par la création de l’Institut national de l’émigration en 1956. La promotion de l’émigration vers l’Europe aurait eu pour conséquence la décongestion du marché du travail, l’entrée de devises et d’investissements étrangers. Mariana Domínguez explique que le régime franquiste "a pris soin de maintenir les liens avec les Espagnols à l’étranger et d’entretenir le désir de revenir de loin, afin de conserver les avantages économiques".

Dans les années 60, le sud-est de l’Espagne a connu le développement exponentiel du tourisme et du secteur tertiaire, la présence d’une industrie encore importante qui a attiré un grand nombre de migrants des régions déprimées - ainsi qu’un mouvement intraprovincial qui a accentué le déséquilibre entre les zones agraires et les zones industrielles ou côtières - et une émigration vers l’Europe plus douce que dans d’autres régions d’Espagne.

Mais la migration pied-noir vers Alicante différait à bien des égards de l’émigration des citoyens d’Alicante vers l’Europe ou de l’immigration interne à la province, essentiellement parce qu’il s’agissait d’un exil. Ce groupe, composé de classes moyennes et ouvrières, avait une structure socio-économique similaire à celle de la société d’Alicante de l’époque, et provenait d’un territoire qui avait connu un plus grand développement que l’Espagne.

Poussés par les événements politiques, ces exilés ne correspondent pas au profil classique de l’émigrant. Les Français ont pu rester en Espagne, en tant qu’étrangers, sans difficulté et ont eu accès à des facilités pour s’installer et investir. La disponibilité des moyens de transport et la proximité de la côte étaient des éléments pratiques essentiels lorsqu’il s’agissait de se rendre en Espagne ou vers la France.

La Nouvelle Ecole Française (NEF), créée par un groupe de pieds-noirs en 1962, (Sans aucun financement du gouvernement français, il est nécessaire de le préciser !) devenue depuis plusieurs années le Lycée Français d’Alicante et un pôle d’attraction pour les fonctionnaires et les familles avec des enfants en âge scolaire.

Mais au-delà des facilités accordées par l’Espagne, explique le professeur Domínguez, "cette communauté a pu compter sur un contexte économique et politique très favorable" qui lui a permis d’accéder à de nombreuses opportunités d’investissement et d’occuper de nouvelles niches économiques. Ils ont participé activement au développement du secteur tertiaire, beaucoup d’entre eux mettant à profit leurs compétences apportées d’Algérie, d’autres prenant le risque d’une reconversion professionnelle.

Dans le processus, les amis, les voisins et les parents ont attiré ceux qui n’avaient pas encore quitté l’Algérie ou qui étaient déjà en France, même ceux qui n’avaient aucun lien avec l’Espagne.

Certains personnages importants ont mené, à partir du début des années 1960, un intense travail de propagande par le biais de la presse française et espagnole et de leurs diverses agences immobilières et touristiques pour attirer de plus en plus de monde sur la Costa Blanca, en créant une image d’Alicante comme paradis du pied-noir.

Ce travail de propagande, explique Mariana Domínguez, "s’inscrivait parfaitement dans la politique d’attraction touristique de Franco et était ouvertement soutenu par les autorités locales". De nombreuses familles ont investi dans des entreprises, les retraités ont choisi Alicante pour leur retraite et beaucoup ont acheté des appartements le long de la côte.

La présence des pieds-noirs à Alicante a encouragé le développement de nouveaux quartiers et de zones résidentielles, à la fois ouvrières, comme Virgen del Remedio, où de nombreux immigrants de l’intérieur du pays se sont également installés, et haut de gamme : les zones de Vistahermosa, Albufereta ou Cabo de Huertas.

Au cours de ces années, selon des documents officiels, au moins 148 licences pour ouvrir un commerce à Alicante ont été demandées par des Européens identifiés comme venant d’Algérie.

Au début, les fonctionnaires préféraient aller en France, conditionnés par les possibilités d’emploi. Depuis la création du Lycée, de nombreux fonctionnaires de l’éducation se sont également installés dans la province avec leur famille. La nécessité d’éduquer les enfants français était une autre priorité, et l’école a permis de maintenir la culture et la langue françaises dans les familles de la province.

Les entreprises qu’ils ont ouvertes étaient des lieux de rencontre et permettaient de préserver les coutumes et les traditions, ainsi que de créer des liens avec la population locale et de faciliter l’intégration économique dans la société d’Alicante.

Les entreprises s’adressaient à un public pied-noir et local, employant de nombreux Européens d’Algérie. Cette communauté a eu tendance à se concentrer sur un certain nombre de niches économiques encore vacantes dans la société d’accueil : celles liées aux loisirs, au tourisme et à la restauration, associées à la société de consommation moderne, déjà établie en Algérie et qui arrive à pas de géant en Espagne.

En analysant les demandes de licences, près de 82% des demandes correspondent à des activités du secteur tertiaire, avec des bars, des restaurants et des lieux de vie nocturne, étant les plus populaires.

La vente de produits alimentaires, des boulangeries, des salons de beauté, la vente de vêtements et des bureaux de services liés à l’immobilier, à l’automobile, aux assurances et à la finance.

"Les pieds-noirs étaient généralement impliqués dans un commerce moderne et innovant, ouvrant des boutiques d’appareils électriques, des bars et de presses", précise l’historien. Ceux qui travaillaient dans le secteur secondaire exerçaient principalement des métiers traditionnels, mais souvent liés à des activités en plein essor : meubles, appareils ménagers, automobiles et construction.

Les Pieds-Noirs étaient donc des acteurs sociaux actifs qui ont contribué au développement de l’économie de la région. Ils n’ont généralement pas occupé les emplois laissés vacants par l’émigration vers l’Europe, mais ont participé à la création du nouveau modèle économique qui se mettait en place en Espagne à l’époque.

Le besoin de repartir de zéro, de saisir l’occasion de se tailler une nouvelle place dans le monde. Cela les distinguait des autres migrations purement économiques".

Vers 1970, les professions des Européens d’Alicante se sont diversifiées et le nombre d’employés et de cadres dans les entreprises a augmenté. Cela est probablement dû à l’épuisement des activités menées au début des années 1960, à l’entrée des jeunes générations dans le monde du travail - qui a également permis une augmentation de l’emploi féminin - et au renouvellement de la communauté pied-noir d’Alicante après de nombreux départs et nouvelles arrivées. Il y avait des retraités, des personnes à la recherche d’un travail rémunéré, mais aussi des enseignants de la NEF et des professionnels.

En conclusion, "l’intégration économique quasi totale des pieds-noirs est indéniable. On ne sait pas avec certitude combien d’entre eux se sont installés à Alicante, mais le nombre de personnes arrivées d’Algérie entre la fin des années 50 et le milieu des années 60 a été suffisamment important pour laisser une marque indélébile sur le territoire et sur la société d’Alicante".

Mariana Domínguez met en évidence deux caractéristiques uniques de la communauté pied-noir des deux côtés des Pyrénées qui s’expliquent par l’exil : "La première était le besoin de repartir de zéro, de saisir l’occasion de se tailler une nouvelle place dans le monde. Cela les différenciait d’autres migrations purement économiques ayant moins d’implications". Le deuxième trait était de "se définir comme des pionniers". Animés par un désir de revanche sur la France et de récupération de la valeur créative d’un peuple qui se sentait attaqué au plus profond de lui-même, leurs prises de position "tendaient à mettre en avant le caractère combatif et dynamique du collectif, s’efforçant de montrer ce dont il était capable".

Voir en ligne : http://magoturf.over-blog.com/2021/...