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BLIDA

, par  Suzanne de Beaumont , popularité : 6%
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BLIDA

En 1940 il y avait à Blida quelques personnages assez remarquables.
Je vous parlerai d’abord d’une femme parce qu’à l’époque être un personnage remarquable en étant une femme, c’était assez peu courant. Ces messieurs ne parlaient et ne considéraient que les hommes remarquables bien que dans le courant de leur vie l’existence de ces femmes remarquables étaient essentielles pour eux, mais en parler c’était se rabaisser au niveau féminin.

Denise Lagaillarde, née Baudin, a laissé des traces importantes dans son métier d’avocat. Née en Guyanne où elle a été la congénère de Gaston Monnerville et où leurs familles se connaissaient bien, elle est venue s’installer à Castiglione avec sa famille. Son père, ingénieur des ponts et chaussées, nommé à Castiglione est venu s’y installer. Denise a fait des études de droit à Paris, elle y a connu Henri Lagaillarde, ils se sont mariés et ont eu un fils en 1931. Denise qui connaissait bien l’Algérie a convaincu Henri de s’inscrire au barreau de Blida. Beaucoup d’affaires se traitaient à Blida où le barreau était moins encombré que celui d’Alger. A Blida, Denise s’est fait rapidement une clientèle importante, elle allait souvent plaider à Alger. Un jour pour plaider une grosse affaire d’accident de la circulation, elle s’est présentée devant le tribunal d’Alger avec des voitures d’enfants et à mimer l’accident de sorte que sa plaidoirie ne pouvait qu’être victorieuse. A Alger les avocats ne plastronnaient pas quand ils plaidaient contre elle. Après l’exil en France elle a continué une carrière plus qu’honorable.

Henri Lagaillarde, lui, natif des Pyrénées, a fait ses études de droit à Paris. Marié avec Denise, inscrit au barreau de Blida, il s’est spécialisé dans une clientèle très particulière, les mozabites. En Algérie, le M’Zab, étaient une région dans le désert qui englobait plusieurs oasis et qui était complètement fermé à tout étranger. Les mœurs musulmanes y réduisaient les femmes au néant. Elles y vivaient souvent dans l’ombre pour ne pas dire dans l’obscurité et ne connaissaient rien d’autre que l’intérieur des quatre murs de leur maison. Les hommes partaient dans les villes et les villages d’Algérie pour y tenir des épiceries. Ils ne repartaient que rarement chez eux pour y faire un enfant, et attendaient d’avoir fait fortune pour vraiment vivre au M’Zab. Bien sur leur réussite était le résultat de leur talent de commerçant et il leur arrivait d’avoir besoin d’un avocat pour se défendre en justice. Henri était devenu le spécialiste des mozabites. Ceci lui donnait l’occasion d’être invité au M’Zab par de riches clients et d’être ainsi un des très rares étrangers qui pouvait entrer au M’Zab.Et bien sur tous les avocats d’Algérie savaient que Henri Lagaillarde était l’avocat du M’Zab.

A Blida il y avait à l’époque le docteur Phéline, lui aussi, une figure originale. Il soignait toutes les clientèles et ne faisait payer que les clients qui pouvaient payer, c’est dire qu’il n’était pas riche, mais par exemple il allait au bordel de Blida soigner les femmes pour soigner en même temps la santé des hommes nombreux qui fréquentait cette maison. Les exemples de sa générosité quotidienne sont innombrables.

Il y avait aussi le docteur Bachir, en réalité Bachir Abdelhouarab, d’une famille de marabouts. Le petit peuple Musulman apportait le plus qu’il pouvait son obole à la famille du marabout pour qu’elle intervienne pour lui auprès d’Allah. Ces familles étaient relativement aisées. C’est ainsi que Bachir a fait des études brillantes au lycée de Blida et à l’Université de médecine d’Alger. A l’université il a connu sa femme. Fille d’une très riche famille algérienne elle faisait des études de lettres à Alger. Au passage, je remarque qu’elle aussi était exceptionnelle. Il y avait peu de filles musulmanes qui étaient scolarisées au-delà du brevet et encore. Ce Bachir avait une clientèle autant musulmane qu’européenne et de plus il était très beau. On se retournait dans la rue pour le regarder passer.

Il y avait encore un pharmacien dont j’ai peu de souvenirs. Je me souviens seulement qu’on disait à Blida qu’il était aussi beau que Bachir et que sa pharmacie était très fréquentée par de nombreux admirateurs.

Enfin je vous parlerai de Pierre Durand, le dentiste. Arrière petit fils d’un paysan du Dauphiné venu faire la guerre en tant que musicien en Algérie, qui s’était fait démobilisé près de Médéa, en moyenne montagne, éloigné du paludisme qui décimait les populations, et s’était installé comme charron sur une route passagère. Le père de Pierre, passionné de sciences, s’était installé comme dentiste non diplômé dans la banlieue d’Alger. Pierre y a fait ses études mais a suivi les cours de dentisterie à Marseille. Son père s’était installé à Toulon pour se faire soigner un exéma pernicieux aux mains. C’est à Toulon, au cercle des nageurs que Pierre a connu sa femme. Il s’est installé au cabinet dentaire de son cousin qui cessait son activité à Blida. Pierre Durand comme tous les professionnels de médecine en Algérie, était très préoccupé par la nécessité de soigner tous les européens qui en avaient besoin mais aussi le plus grand nombre des pauvres quel qu’ils soient. A la demande du docteur Phéline il est allé au bordel soigner les femmes. Après deux visites il a décidé que c’était beaucoup plus pratique et efficace de les soigner à son cabinet dentaire avec son matériel professionnel. Il a institué un après-midi par semaine, le vendredi après-midi qui serait consacré à cette clientèle. A Blida on savait que le vendredi après-midi le cabinet dentaire de Pierre Durand recevait les femmes du bordel. L’opinion publique lui importait peu pourvu qu’il soit en paix avec sa conscience.

Enfin en parlant de Blida il faut bien parler de Pierre Lagaillarde. Tous les pieds noirs le connaissent. Je constate qu’on parle beaucoup plus de Jean Daniel, cet intellectuel de gauche devenu célèbre en France. Ce dernier était du même âge, à peu de chose près que Pierre Lagaillarde. Mais contrairement à Pierre Lagaillarde il était partisan de l’indépendance de l’Algériea . Soit. Mais il a agit pendant 8 ans contre les soldats français en aidant les partisans du FLN et autre. Moi je connaissais bien les parents de Jean Daniel qui tenaient un commerce de vêtements chics dans une boutique près du marché couvert de Blida. Ils étaient des commerçants très honorables de confession juive, d’une bourgeoisie bien établie. Pierre Lagaillarde, lui, a sacrifié sa vie à la défense d’une province française. On l’a accusé des pies tortures sans qu’il y ait la moindre preuve, sinon quelques témoignages imprécis et partisans. Je pense qu’on n’ a pas le droit de l’effacer de l’histoire de l’Algérie et de célébrer Jean Daniel. Je suis un témoin encore vivant. J’ai du mal à accepter la célébration d’un homme « gauche » parce qu’il était communiste ou socialiste pour mieux s’établir dans l’opinion et l’effacement complet d’un homme qui a eu son heure de gloire auprès de très nombreux pieds noirs.