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Autant en emporte le racisme… cinéma et bien-pensance

, par  Gérard-Michel Thermeau , popularité : 5%
Cet article provient d'une source externe à NJ sans autorisation mais à titre d'information.
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Par Gérard-Michel Thermeau.

Une de ces polémiques actuelles et ridicules à propos d’Autant en emporte le vent, best-seller puis film mythique, m’incite à rappeler quelques faits. On l’a peut-être oublié mais Hollywood est née sous la bannière sudiste. Naissance d’une Nation de D. W. Griffith (1915) marque la naissance de la Mecque du cinéma en célébrant le vieux Sud et les exploits du Ku Klux Klan.

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Wilson, président démocrate, se fait projeter le film à la Maison Blanche et applaudit à cette vision raciste (mais historiquement juste) des Noirs vus par les Blancs du Sud. Un peu plus de vingt ans plus tard, Autant en emporte le Vent (1939), porte- étendard de l’âge d’or des grands studios hollywoodiens, traite la même période avec le même enthousiasme pro-sudiste et un regard presque aussi péjoratif sur les Afro-américains.

Quand je dis « historiquement juste » entendons-nous bien. Ces films nous donnent le reflet fidèle de la vision sudiste sur les Noirs et du souvenir embelli de l’Ancien Sud. Le point de vue en est donc parfaitement exact. Que cela dérange aujourd’hui est une autre affaire.

Ce qui est intéressant à relever ce sont les polémiques qu’ont suscitées en leur temps ces deux films. Griffith, chagriné qu’on ait pu mal recevoir son œuvre, devait réaliser ensuite un film nommé… Intolérance.

Une massive production pro-sudiste

Or, ces deux films, deux dates importantes de l’histoire du cinéma, ne sont en rien des exceptions. Ils s’inscrivent dans une massive production de films qui relèvent essentiellement de ce qu’on appelle le western, qui présentent avec sympathie, pour ne pas dire plus, le Sud et les Sudistes.

Contrairement à ce qui est répété à l’envi dans certains milieux, le biais anti-sudiste est extrêmement récent. Les clichés hollywoodiens se sont depuis peu inversés mais pendant longtemps, le Sud a eu le vent en poupe.

Du Johnny Gray de la Generale incarné par Buster Keaton à Josey Wales campé par Clint Eastwood, en passant par Lin MacAdam (James Stewart), le héros discret de Winchester 73, les Sudistes auront eu le plus souvent le beau rôle dans le cinéma hollywoodien.

Nous ne parlons pas ici de petites productions confidentielles mais de grands films de l’histoire du cinéma. Le Mécano de la Generale (1926) est l’ultime chef-d’œuvre d’un Buster Keaton qui avait ridiculisé un personnage noir dans Les Fiancées en Folie (Seven Chances, 1925). Dans ce dernier film, joué par un Blanc grimé en Noir, selon un procédé qu’affectionnait le cinéma muet, le serviteur afro-américain du protagoniste se montrait stupide et couard selon les stéréotypes alors en vigueur.

Les mêmes clichés se retrouvent dans les films d’Harold Lloyd. Quant à Chaplin, on ne croise guère de Noirs dans son univers qui prétend pourtant se pencher sur les bas-fonds des villes américaines.

Un cinéma blanc

Cependant, le Sud est d’autant plus présentable qu’il est dépourvu d’esclaves. À peine aperçoit-on fugitivement un porteur noir dans La Generale. La bourgade de Georgie tout comme ses alentours ne paraissent peuplés que de Blancs. Il en va de même dans le film de Clint Eastwood dont le héros, Josey Wales, est un petit fermier qui travaille seul sur sa modeste exploitation, fidèle à toute une imagerie westernienne.

Le cinéma hollywoodien, jusqu’aux années 1950, est un cinéma blanc. Les Noirs y sont cantonnés à de petits rôles de domestiques, d’employés de chemin de fer et d’ouvriers agricoles. Ils doivent grimacer, gesticuler de façon grotesque, parler « petit nègre » et sont globalement ridiculisés. Seuls y échappent les domestiques fidèles qui font « presque » partie de la famille.

On est étonné de croiser des personnages noirs qui se conduisent et parlent normalement dans La Griffe du passé (1947), que le réalisateur soit Jacques Tourneur, un Français, y est peut-être pour quelque chose.

Les westerns, genre par excellence du pro-sudisme

Mais ce sont les westerns et les films consacrés à la Guerre de Sécession qui expriment le plus ouvertement le pro-sudisme hollywoodien.

La Piste de Santa-Fe de Michael Curtiz (1940) produit par la Warner, studio pro-démocrate et rooseveltien, a pour héros Jeb Stuart, futur héros sudiste de la Guerre civile. Il y est incarné par le séduisant et charismatique Errol Flynn. Le méchant est John Brown campé par Raymond Massey spécialiste des rôles antipathiques : c’est un abolitionniste fanatique, partisan de la violence, qui finit pendu. Errol Flynn devait reprendre un rôle de sudiste chevaleresque se sacrifiant avec ses hommes dans une série B moins connue mais très bien réalisée : La Révolte des dieux rouges (1950) de William Keighley.

Dans Shane de George Stevens (1953), le western archétypal des années 1950, de gentils fermiers d’origine sudiste sont persécutés par un grand éleveur qui fait appel à un tueur « yankee » auquel Jack Palance prête sa redoutable silhouette.

On pourrait donner une multitude d’exemples de la grosse production au film de série. Même quand ils sont amenés à pactiser avec le Diable, en l’occurrence les Français occupant le Mexique, les Sudistes finissent par servir la révolution juariste (Vera Cruz 1954, Les Géants de l’Ouest 1969) et donc le « camp du Bien ».

Le cas John Ford

Mais regardons le cas John Ford, le grand maître du western. John Ford, s’il finit par nous livrer le portrait ambigu et complexe d’un Texan haineux (à l’égard des Indiens), Ethan Edwards (John Wayne) dans La Prisonnière du désert (1956), regarde, le plus souvent, avec beaucoup d’empathie les Sudistes.

Dans La charge héroïque (1949), un ancien colonel sudiste engagé sous un faux nom comme simple soldat est enterré avec tous les honneurs. Je n’ai pas tué Lincoln (1936) évoque un médecin injustement accusé d’être complice de l’assassinat de Lincoln. Lors de son internement, il subit les brimades d’une brute sous uniforme bleu jouée par John Carradine.

On entend beaucoup Dixie dans les films de Ford : Lincoln lui-même, la guerre gagnée, demande qu’on joue l’air sous ses fenêtres. Sherman fait ainsi plaisir à l’épouse sudiste du colonel York dans Rio Grande (1950).

Les Cavaliers (1959) met en scène une ardente « patriote » prête à espionner les yankees avec l’assistance de sa servante noire nécessairement dévouée. Les Sudistes sont dépeints comme des adversaires nobles et courageux des cavaliers bleus. C’est là une vision qui est reproduite dans de très nombreux westerns.

Certes, Ford, qui avait campé un Sud pittoresque bourré de clichés dans ses « non-westerns » (Judge Priest 1934 ; Le Soleil brille pour tout le monde, 1953), se mit tardivement à dépeindre un Noir noble et courageux dans Le Sergent Noir (1960).

Déségrégation et persistance du « sudisme »

Mais bon, la déségrégation du cinéma avait commencé : Sidney Poitier devait être la première star noir jouant des films de blancs dans les années 1950. Revoyant une série qui avait charmé ma jeunesse, Les Mystères de l’Ouest, j’ai été frappé de la peinture des peu nombreux personnages noirs : bons ou méchants, ils sont tous dignes, bien habillés et distingués. C’était une façon, dans les années 1960, de rompre avec les clichés racistes qui avaient cours précédemment.

Plus curieusement le pro-sudisme a persévéré dans des productions postérieures à la « déségrégation » du cinéma hollywoodien. De grandes fresques ont été consacrées à la guerre civile américaine : Gettysburgh (1993) et Gods & Generals (2003) de Ronald F. Maxwell. Le premier reconstitue la plus célèbre bataille de la Guerre civile américaine. Le second film offre un portrait idéalisé de « Stonewall » Jackson, un des plus fameux généraux sudistes.

Dans ces deux films, l’accent est mis davantage sur le camp sudiste que sur le camp nordiste et le spectateur ne peut que sympathiser avec le Sud. Un Noir doit même subir un discours justificatif sur la « liberté » si chère aux Sudistes mais exclusivement réservée aux Blancs.

Encore plus récent, Field of Lost Shoes (2014) de Sean McNamara, n’hésite à nous montrer de braves cadets de Virginie qui, bien entendu, sont anti-esclavagistes et ne se battent que pour la liberté. Le film ressemble beaucoup aux deux productions précédentes par son apparent réalisme et les postiches pileux un peu trop visibles des acteurs.

On inverse les clichés et tout va bien

Mais aujourd’hui, globalement, les clichés sont inversés comme l’illustre Quentin Tarantino, le roi du cliché cinématographique contemporain, dans Django Unchained (2012) où Leonardo DiCaprio campe un horrible Sudiste. Le manichéisme demeure le péché mignon d’Hollywood depuis Naissance d’une Nation. Eisenstein, grand admirateur de Griffith, n’avait-il pas déjà inversé la signification symbolique du Noir et du Blanc dans son Alexandre Nevski ?

Bref, rien de neuf sous le soleil.

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