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L’opposition turque osera-t-elle enfin se réformer ?

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Cet article provient d'une source externe à NJ sans autorisation mais à titre d'information.

Comme prévu, Recep Tayyip Erdogan vient d’être élu Président de la République de Turquie au suffrage universel. Par son soutien (finalement moins élevé qu’annoncé par les sondages) à celui qui est premier ministre du pays depuis 2003 ou par son abstention, le peuple turc a montré à l’opposition que la dénonciation de l’autoritarisme d’Erdogan ne pouvait suffire pour déloger le chef incontesté de l’AKP du pouvoir. La gauche turque est à l’heure actuelle incapable d’offrir une alternative crédible à la "démocratie illibérale" qu’est en train de construire le premier ministre.

Il y a quelques semaines, lors d’un déplacement à Tusnad, en Roumanie, le premier ministre hongrois Viktor Orban s’est lancé dans une violente diatribe contre les démocraties libérales occidentales coupables, selon lui, d’être incapables de protéger l’intérêt national et les familles. L’autoritaire chef de l’Etat hongrois a ensuite expliqué son ambition de "construire une démocratie illibérale".

Ce terme de "démocratie illibérale" fait notamment référence aux thèses de Fareed Zakaria décrivant des régimes ayant recours à des élections mais sans pour autant avoir un Etat de droit ni le libéralisme politique et économique. Ces Etats ont très souvent pour bases le nationalisme, le capitalisme de connivence et le contrôle des médias, un modèle vers lequel souhaite tendre Viktor Orban car c’est selon lui le seul système réussissant actuellement, prenant comme exemples Singapour, la Chine, la Russie et la Turquie.

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Alors qu’il y a quelques années, la Turquie était vue comme un modèle de démocratie libérale du monde musulman (le fameux "modèle turc" vanté par les Etats-Unis comme alliant identité musulmane, démocratie et croissance économique), elle serait à présent à ranger aux côtés des régimes autoritaires que sont la Russie et la Chine. Certes, des élections libres sont organisées en Turquie mais elles ne peuvent être décrites comme étant équitables. Le Premier ministre turc disposait d’un "clair avantage" sur ses rivaux à cause de " l’utilisation par le Premier ministre de sa position officielle et la couverture partisane des médias", ont ainsi indiqué les observateurs de l’OSCE. Ainsi, la Télévision d’Etat turque (TRT) et ses chaînes-soeurs ont consacré six fois plus de temps à Erdoğan qu’à l’un de ses deux opposants, Selahattin Demirtaş, par exemple.

Des proches du nouveau président sont englués dans des scandales de corruption, ses liens avec des grandes entreprises du bâtiment sont régulièrement questionnés et sa rhétorique souvent agressive et incitant parfois à la haine s’accompagne de nombreuses restrictions en matière de libertés publiques. Lors des émeutes du parc Gezi, c’est cet autoritarisme et cette volonté de m’immiscer dans la vie des gens qui étaient dénoncées.

Cette aspiration aux libertés publiques est partagée par une grande partie de la population : sociaux-démocrates, écologistes, conservateurs (notamment ceux qui estiment que le développement de la Turquie a entraîné de nombreuses inégalités), jeunes, syndicalistes, minorités religieuses ou sexuelles, etc. Elles n’ont pour l’instant pas trouvé de débouché politique pour le moment mais le score de Selahattin Demirtaş - qui a fait une campagne axée sur les "laissés pour compte" et qui a obtenu un score dépassant largement les électeurs kurdes qui représentent la cible traditionnelle de son parti, le HDP - pourrait peut-être montrer la voie pour l’opposition.

Le problème est que le principal parti de cette opposition, le Parti Républicain du Peuple (CHP), reste tiraillé entre les partisans d’un virage social-démocrate assumé et ceux d’un kémalisme pur et dur. Le CHP peut légitimement être fier d’être le parti qui a fondé la République laïque, accordé le droit de vote aux femmes et de nombreux droits sociaux aux travailleurs, signé un accord d’association avec l’Europe dès 1963. Néanmoins, il doit affirmer plus nettement sa volonté de défendre l’Etat de droit et les libertés publiques. De plus, le CHP reste marqué par son passé de parti unique ayant assumé plusieurs massacres de la jeune république turque, notamment celui de Dersin en 1937.

Le leader du CHP Kemal Kılıçdaroğlu a, ces dernières années, travaillé à modifier le logiciel du parti, l’éloignant de la laïcité rigide de son prédécesseur et du nationalisme de certains de ses membres. Il fait cependant face à une fronde interne de la part de plusieurs députés réclamant un retour aux valeurs historiques du CHP. Comme le relève le journaliste Özgur Korkmaz, on retrouve par exemple parmi ces frondeurs Birgül Ayman Güler, une des opposantes farouches au processus de paix avec les Kurdes. Aussi, lorsqu’il a fallu se rapprocher d’un parti en vue de l’élection présidentielle, le CHP s’est tourné vers les nationalistes du MHP qui accusent régulièrement l’AKP de haute trahison sur la question kurde.

Il est vrai que le CHP et le MHP ont choisi de soutenir Ekmeleddin Ihsanoglu, un diplomate conservateur, ni kémaliste, ni nationaliste. Mais bien que ce choix ait pu montrer que les deux partis savaient s’ouvrir, il ne s’est pas avéré concluant. Un novice en politique inconnu du grand public était-il le bon candidat face à une machine à gagner des élections comme Erdogan ? Sans véritablement faire campagne alors qu’Erdogan et même Demirtas faisaient de grand meetings mobilisateurs, ses chances étaient faibles lors d’une élection au suffrage universel.

L’opposition doit se trouver un leader charismatique pour espérer une mobilisation populaire en sa faveur et combattre l’abstention mais sans plate-forme politique cohérente, elle ne peut espérer déloger l’AKP au pouvoir. Il lui faut réapprendre à parler aux masses, aux travailleurs et aux précaires, dont beaucoup souffrent du développement économique inégalitaire de la Turquie. C’est une condition sine qua non pour ne pas être uniquement soutenu par la bourgeoisie urbaine. La croissance économique du pays est largement mise en avant par Erdogan, elle constitue également son point faible tant elle est insuffisamment inclusive.

Comme le dit l’ancien ministre de l’économie Kemal Derviş, "l’opposition démocratique ne pourra remédier aux défaillances de l’ordre existant que si elle admet la nécessité de formes de mobilisation bien différentes de celles d’autrefois. Il lui appartient de reconnaître ce fort désir populaire d’autonomie individuelle, de prendre des positions fortes concernant les femmes et la jeunesse, et d’appuyer davantage l’esprit individuel d’entreprise".

L’esprit de Gezi, ce désir de libertés individuelles, de lutte contre les inégalités économiques, d’affirmation de l’identité plurielle de la Turquie et d’acceptation de la diversité, doit guider l’évolution de l’opposition turque. Face au modèle de la démocratie illibérale mise en place par Recep Tayyip Erdogan, il est nécessaire que se crée un vaste mouvement populaire, social, libertaire et décentralisateur. Si le CHP veut en faire partie, il n’a plus le choix : il doit se réformer.

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