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« Tourisme social » : y a-t-il vraiment du nouveau ?

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Cet article provient d'une source externe à NJ sans autorisation mais à titre d'information.

L’arrêt rendu le 11 novembre dernier par la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) [1] fait actuellement l’objet de nombreux commentaires, comme s’il consacrait une sorte de révolution dans l’attribution des prestations sociales aux étrangers et la condamnation de ce qu’il est convenu d’appeler le « tourisme social ». C’est en réalité donner une importance injustifiée à cet arrêt, car il confirme surtout la compatibilité de la plupart des législations internes existantes des pays membres de l’UE avec les règles européennes. Ce qui n’empêche pas que l’on puisse demander à lutter davantage contre fraudes et abus, et aussi revoir certaines dispositions de la loi interne française dans une démarche non liée à la jurisprudence créée par l’arrêt.

La décision de la CJUE et son contexte

La décision de la CJUE se place dans le contexte particulier et limité d’une demande d’un tribunal allemand cherchant à savoir comment interpréter une directive et un règlement européens [2], pour déterminer la compatibilité de la loi allemande avec ces derniers. Le tribunal avait à juger du recours d’une Roumaine, mère d’un enfant né de père inconnu, résident depuis plus de trois mois en Allemagne où elle ne travaille pas ni ne cherche un emploi. On précise que cette personne perçoit effectivement par mois184 € d’allocation familiale et 133 € d’ « avance » sur pension alimentaire (prestations qui n’étaient pas en cause), mais elle demandait en outre à recevoir les prestations d’« assurance de base » visant à assurer la « subsistance », ce qui lui était refusé.

Ce refus découlait de l’application de deux dispositions d’exclusion de la loi allemande, et particulièrement de celle-ci : « Les étrangères et étrangers dont la droit de séjour n’est justifié que par la recherche d’un emploi, et les membres de leur famille ». La question posée à la CJUE était de savoir si ces dispositions d’exclusion étaient compatibles avec les règles d’égalité de traitement contenues dans la législation européenne [3].

La CJUE a jugé que les règles européennes d’égalité de traitement devaient être coordonnées avec l’article 7 de la Directive qui conditionne le droit de séjour de plus de trois mois, soit à l’existence d’un travail salarié ou non salarié dans l’État d’accueil, soit au fait de disposer « pour lui et pour les membres de sa famille, de ressources suffisantes afin de ne pas devenir une charge pour le système d’assistance sociale de l’État membre d’accueil au cours de son séjour, et d’une assurance maladie complète dans l’État membre d’accueil ». Le considérant 76 de la décision précise que cet article 7 « cherche à empêcher que les citoyens de l’Union économiquement inactifs utilisent les systèmes de protection sociale de l’Etat membre d’accueil pour financer leurs moyens d’existence ».

Les enseignements à en tirer

La portée de l’arrêt de la CJUE doit être soigneusement circonscrit pour éviter de lui donner une signification exagérée. Les points qu’il y a lieu de retenir sont les suivants :

La Cour n’innove pas, elle ne fait qu’interpréter une législation européenne déjà ancienne puisqu’elle date de 2004, et qui définissait déjà l’exigence de ressources propres, concernant au surplus les seules personnes inactives. Nous verrons plus loin que la législation française interne connaît déjà cette exigence.
La Cour n’intervient pas pour définir les prestations auxquelles une personne a droit, mais seulement pour juger de la compatibilité des dispositions d’exclusion de la loi nationale, en l’occurrence allemande, avec la législation européenne. Ce qui rend délicat d’en tirer des conséquences pour les autres législations nationales, et notamment française.
La Cour rappelle que les restrictions autorisées par la législation européenne quant à la justification de ressources ne concernent que les étrangers dont la durée de séjour est supérieure à trois mois et inférieure à cinq ans. La Directive n’oblige en effet pas les États à accorder de protection en cas de séjour inférieur à trois mois, et au-delà de cinq ans le droit au séjour permanent est automatiquement assuré.
La Cour rappelle que ne sont visées par la nécessité de disposer de ressources que les personnes sans travail (« inactives »).

Quelles sont enfin les prestations sociales concernées par l’exigence de ressources (les « prestations spéciales en espèces à caractère non contributif) » ?

La réponse nécessite quelques explications. La CJUE titre ainsi le communiqué de presse résumant sa décision : « Les citoyens de l’Union économiquement inactifs qui se rendent dans un autre État membre dans le seul but de bénéficier de l’aide sociale peuvent être exclus de certaines prestations sociales ». Le terme « certaines » employé fait en effet allusion à l’objet du litige, qui concerne seulement les « prestations spéciales en espèces à caractère non contributif ». De fait, nous avons indiqué que la citoyenne roumaine concernée par le litige percevait par ailleurs les allocations familiales (ainsi qu’une avance sur pension alimentaire). L’expression ci-dessus s’appliquait donc seulement, en droit allemand, à l’assurance de base prévue par ce droit. Le Règlement 883/2004, dans son annexe X, définit pour chaque pays ce qu’il y a lieu d’entendre par « prestations spéciales en espèces à caractère non contributif » (voir encadré).

Les prestations françaises de l’annexe X du Règlement 883/2004

Si le litige avait eu lieu en France dans des conditions de fait identiques, il aurait porté sur des prestations faisant l’objet de l’article 70 du Règlement et décrites pour chaque pays dans l’annexe X. Pour la France, il s’agit des prestations suivantes :

Allocations supplémentaires :

  • du fonds spécial d’invalidité ; et
  • du fonds de solidarité vieillesse par rapport aux droits acquis (loi du 30 juin 1956, codifiée au livre VIII du code de la sécurité sociale).
  • Allocation pour adultes handicapés (loi du 30 juin 1975, codifiée au livre VIII du code de la sécurité sociale).
  • Allocation spéciale (loi du 10 juillet 1952, codifiée au livre VIII du code de la sécurité sociale) par rapport aux droits acquis.
  • Allocation de solidarité pour personnes âgées (ordonnance du 24 juin 2004, codifiée au livre VIII du code de la sécurité sociale), à partir du 1er janvier 2006.

Il s’agit donc, limitativement, des prestations connues à l’heure actuelle sous les vocables de AAH, ASI et ASPA, à l’exclusion, outre la totalité des prestations en nature comme l’AME, de celles considérées comme ayant un caractère contributif comme les allocations familiales, ou encore de celles non visées par le Règlement, comme le RSA.

À vrai dire, il subsiste une ambiguïté quant au périmètre exact des prestations potentiellement concernées. Le dispositif de l’arrêt ne vise en effet que les « prestations spéciales en espèces à caractère non contributif », alors que les motifs (93 paragraphes !) donnent plutôt à penser que la totalité des prestations relevant de l’aide sociale non contributive pourrait être concernée. Quoi qu’il en soit, la loi française conditionne l’octroi des prestations comme nous allons le voir.
La loi française impose déjà des conditions pour l’octroi des prestations sociales aux étrangers

D’une façon générale, il faut pour les étrangers, y compris les ressortissants de l’UE, disposer d’un titre de séjour valable pour bénéficier des prestations comme les allocations familiales ou l’allocation de rentrée scolaire, ou encore les allocations logement. La France applique déjà les dispositions de l’article 7 de la Directive rappelées plus haut, et qui exigent de disposer de ressources suffisantes lorsque l’on est inactif.

Quant au RSA, il nécessite aussi pour en bénéficier, même lorsqu’on est citoyen de l’UE, de posséder un titre de séjour, lequel s’obtient en justifiant d’une activité.
En résumé, l’apport de l’arrêt de la CJUE n’est pas perceptible et encore moins quantifiable

Parce qu’il ne fait que confirmer des dispositions existant depuis dix années et d’ores et déjà appliquées par les différentes législations internes, notamment française, parce que son périmètre d’application est en tout état de cause limité, et parce que, selon toute vraisemblance, le nombre d’étrangers pouvant être concernés est très faible, on ne voit pas bien quel impact financier l’arrêt pourrait avoir.

Au sujet du nombre d’étrangers concernés, il faut rappeler en effet que cet arrêt ne peut s’appliquer qu’aux ressortissants d’un pays de l’UE, chaque pays membre étant libre de régler comme il l’entend les droits des étrangers non ressortissants de l’UE. La France ne dispose pas de statistiques sur le nombre des étrangers bénéficiaires des prestations sociales, en l’absence de comptabilité distinguant les origines géographiques. Selon une étude de 2013 commandée par la Commission européenne, seulement 1,7% des bénéficiaires du RSA seraient des citoyens de l’UE, sur un total de 13,4% d’étrangers bénéficiaires. Ce qui montre bien que le problème réside beaucoup plus dans la population des étrangers venant de pays non membres de l’UE.

En définitive, beaucoup plus que du tourisme social, surtout celui provenant de pays membres de l’UE, il y a lieu de se préoccuper de lutter efficacement contre les abus et les fraudes, lutte à laquelle la France vient seulement de s’atteler. D’autre part, il existe aussi des cas où la législation interne française est notoirement trop généreuse. L’aide médicale d’État (AME), par exemple, dont le coût, en constante augmentation, avoisine 800 millions d’euros, fait l’objet de critiques renouvelées. Or, la législation européenne n’a rien à y voir, s’agissant d’immigration irrégulière et de prestations bénéficiant à des sans-papiers, ce qui n’est pas dans la compétence de l’UE, laquelle concerne le droit de circulation et l’égalité de traitement entre ressortissants des pays de l’UE. Au contraire, la France devrait bien davantage revoir la définition des avantages très contestables accordés aux sans-papiers par sa législation interne, comme une couverture médicale quasiment totale ou encore l’octroi d’une carte transport quasiment gratuite dans l’Ile-de-France pour toute la famille du sans-papier, ce qui ne se justifie pas. Par exemple, la disposition correspondante dans la législation allemande, que l’on retrouve dans la plupart des pays, précise que "l’aide aux personnes malades ne peut être versée que pour remédier à un état critique dangereux pour la vie ou pour procéder au traitement d’une maladie grave ou contagieuse qui s’avère à la fois indispensable et urgent". Pourquoi ne pas décider de même ?

[1] Voir le communiqué de Presse, ici. Pour retrouver les conclusions de l’avocat général, ici.

[2] Demande appelée « renvoi pour question préjudicielle »

[3] Article 24-1 de la Directive 2004/38/CE et article 4 du Règlement 883/2004

Voir en ligne : http://www.ifrap.org/Tourisme-socia...