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Souvenirs de Lycéens

, par  FERNON Jean-Paul , popularité : 3%
Cet article provient d'une source externe à NJ sans autorisation mais à titre d'information.

SOUVENIRS DE CLAUDE MARTIN, élève au lycée Lamoricière, agrégé de lettres, auteur de "l’Algérie heureuse"


Il y a bien longtemps, un 1 er octobre, quand la grande guerre faisait rage, ma mère me mena au Lycée de garçons d’Oran qui ne s’appelait pas encore Lamoricière et qui n’avait pas encore le monument aux morts qui orna ensuite la cour d’entrée. Je pris place dans la cour où se réunissaient "les petits" et je commençai une carrière scolaire quelque peu fantaisiste où mon amour des Lettres et de l’Histoire n’avait d’égal que mon dédain pour les mathématiques.
J’y ai connu d’excellents maîtres. La plupart prenaient leur tâche au sérieux. Ils croyaient à leur mission d’éducateurs. Je me rappelle un vieil instituteur de 7ème, M. Bernard qui venait faire sa classe en jaquette. Il voyait mal. Pour lire il devait ajouter à ses lunettes un pince-nez qui chevauchait le bout de son nez, mais cette faiblesse ne l’empêchait pas de corriger soigneusement nos dictées et de nous expliquer l’Histoire de notre pays selon Lavisse et Pagès. C’était un exemplaire de ces hommes dévoués que Péguy appelait les "hussards de la République". Nous leur devons beaucoup.
A partir de la sixième chaque matière était exposée et expliquée par un spécialiste. Il fallait se promener d’une classe à l’autre sous l’œil plus ou moins vigilant d’un pion. Le signal des fins de cours était donné par un roulement de tambour qu’exécutait un garçon de cuisine. Ce ne fut que dans les dernières années de "bahut" que ce vestige de l’université napoléonienne disparut pour laisser la place à une sonnerie électrique, symboles des temps nouveaux. Suivant le cours que nous suivions au moment du signal nous poussions un soupir de soulagement ou nous regrettions cette interruption (la première attitude était de beaucoup la plus répandue). Quelquefois j’aurais bien prolongé une explication de texte ou la lecture d’un poème ou d’une scène de théâtre lue par notre professeur de lettres M. G. Perthuis. Celui-ci détaillait de sa belle voix grave des vers de Victor Hugo - son poète favori - ou une scène de Molière. Cela m’enchantait et lorsque je lis des textes français à mes étudiants ma pensée se reporte souvent à cet excellent maître.
Je ne peux oublier non plus notre professeur d’Histoire, M. Victor Tonnaire. C’était un petit homme à l’esprit vif et souvent sarcastique pour les paresseux et les nonchalants. Il était patriote et s’efforçait de nous faire sentir le rôle de la France dans l’histoire. A cette époque, l’histoire avait une grande place dans les sections littéraires. Nous étudiions l’histoire contemporaine, mais aussi l’histoire ancienne. César devait nous être aussi familier que Napoléon. Un lecteur sourira peut-être de cette conception à peu près abandonnée. La Charte d’Amiens supplante la Constitution d’Athènes du vénérable Aristote. Place au pratique.
Je crois que notre lycée avait la réputation dans le corps enseignant d’être difficile.
L’ensemble des élèves était hétérogène. De jeunes citadins coudoyaient les fils de colons, de jeunes métropolitains, des "pieds-noirs" (le mot n’existait pas, mais ce qu’il désigne existait bien) portant des noms espagnols, parfois italiens ou israélites. En revanche, les "arabes" étaient rares. Des fils de fonctionnaires ou de membres des professions libérales étaient mêlés à des fils de commerçants, de courtiers, d’agriculteurs. Tous ces garçons faisaient bon ménage cependant, sans qu’on eût besoin de leur rebattre les oreilles de discours sur l’égalité des hommes.

Le comportement envers les professeurs était plus discutable. Selon ceux-ci les élèves se montraient corrects ou odieux. Un chahut chez les professeurs que j’ai cités plus haut était inimaginable. En revanche, tel professeur de lettres très estimable avait beaucoup de mal à faire son cours dans une atmosphère souvent houleuse, mais il y avait pis. Je me souviens d’un malheureux professeur de sciences, jeune et manquant d’autorité que j’eus en quatrième. Je ne sais pourquoi mes camarades avaient décidé qu’on pouvait tout faire dans sa classe. La leçon se déroulait au milieu de beuglements, de cris d’animaux tandis que le pauvre maître s’efforçait d’exposer la géologie. Ces débordements me dégoûtaient. C’est en partie là que j’appris à me méfier du désordre et à douter de la bonté naturelle de l’homme chère au bon Rousseau.
Cela se passe dans tous les établissements scolaires du monde. Le garçon qui chahute le professeur qu’il juge faible devient souple comme un gant quand il juge que le "prof" a de la poigne ou est sympathique. Il restait à déterminer pourquoi le professeur est condamné à être persécuté par les gamins qui théoriquement doivent le respecter et pourquoi son voisin de classe jouit d’une tranquillité parfaite. Cela se décide dans les deux premières heures de cours qui équivalent aux rounds d’observation des boxeurs. Un défaut physique, une erreur d’élocution, un accent singulier, un lapsus peuvent faire perdre le prestige du maître, mais un des collègues de celui-ci qui a le même défaut physique, le même accent et qui a peut-être fait le même lapsus n’en souffre nullement. On est en plein irrationnel. L’un s’impose. L’autre est condamné à servir de bouffon s’il n’a pas la sagesse de demander de changer de poste.
Ce curieux phénomène se voit dans beaucoup de lycées. Les jeunes Oraniens n’étaient donc pas plus méchants que d’autres garçons de leur âge en métropole. J’ai connu des professeurs qui sont partis d’Oran pour rejoindre un poste à Paris et qui regrettaient leur départ d’une ville cordiale.
Dernière image. Les cours de religion commençaient à quatre heures, après une courte récréation. En attendant la fin de celle-ci, on voyait se promener gravement sous le préau l’abbé Banton, le pasteur protestant, le Grand Rabbin Weil et leur collègue musulman. Ces messieurs semblaient s’entendre fort bien. C’étaient les précurseurs de l’œcuménisme bien avant que le mot fût à la mode

CLAUDE MARTIN in Bulletin des Anciens et Anciennes des Lycées d’Algérie - Lycée Lamoricière - 1997

MES PROFESSEURS D’ANGLAIS


De ma Sixième à ma Terminale, j’ai suivi - il serait injuste et malséant de dire" subi" les cours d’un certain nombre de profs d’anglais. Il en est trois dont je garde un souvenir particulier.
Madame B**** d’abord, en Sixième, parce que c’est elle qui m’a initié à la langue. De taille moyenne, ni belle, ni laide, ni jeune, ni vieille, sanglée dans de stricts tailleurs gris ou tirant sur le beige, elle nous enseignait avec précision, méthode, et une froideur toute britannique, qui se teintait parfois d’une discrète ironie, quand l’un de nous trébuchait gravement sur la prononciation ou la syntaxe. Sévère, mais pondérée, elle faisait penser à une directrice de pensionnat victorien.
Monsieur F**** ensuite, en Cinquième. Il avait lui aussi quelque chose de britannique, mais agrémenté d’une note pittoresque. Long et maigre, avec un visage étroit, osseux, au teint étrangement brouillé, avec un parler lent et doctoral, une allure à la fois digne et excentrique, il semblait sortir tout droit d’un roman de Dickens. Brave homme au demeurant, et bon professeur.
Si les deux magisters que je viens d’évoquer brièvement possédaient - par prédestination ? Par mimétisme culturel ? - un look indiscutablement british, il n’en était pas de même pour vous, truculent Monsieur V**** ! Vous étiez rondouillard, rougeaud et jovial ; une pointe d’accent méridional ensoleillait votre voix, qui roulait les" r ".
Généralement indulgent, vous piquiez parfois de formidables colères. Oh, ce jour où, devant notre classe de Troisième médusée, vous avez, de vos deux mains rageusement réunies, réduit en grosse boule de papier froissé un paquet de compositions ratées !
Et je n’ai guère connu de prof d’anglais qui fut, apparemment je le précise, aussi peu amoureux que vous de culture britannique. Les sœurs Brontë, par exemple, vous agaçaient, avec leurs pasteurs, leurs tasses de thé, leur romantisme échevelé. Vous agaçait également la poésie anglaise, trop prodigue, selon vous, de fastidieuses allitérations (" the fair breeze blew, the white foam flew, the furrow followed free ... "). Vous préfériez de beaucoup les rudes accents de la poésie germanique, dont il vous arrivait, au beau milieu d’une explication de Shelley, de nous réciter une strophe aux cadences presque militaires ..
Si Mme B**** et Messieurs F**** et V**** étaient encore de ce monde, et si par un hasard extraordinaire ces lignes leur tombaient sous les yeux, je pense qu’ils me pardonneraient d’avoir esquissé d’eux un portrait un peu poussé à la caricature, car je n’y ai mis aucune méchanceté, et je n’ai à aucun degré contesté leur parfaite compétence technique et linguistique. Je leur sais gré, au contraire, de nous avoir donné - à tant de mes camarades et à moi-même - des bases" en béton ".
A ce propos, une remarque, qui me servira de conclusion : autrefois, nous avions, profs et élèves anglicistes, pratiquement un seul outil de travail, l’austère Carpentier-Fialip, maigrement illustré de dessins et de photos en noir et blanc. Aujourd’hui les classes ont à leur disposition des manuels en couleur, pimpants comme des bandes dessinées, des magnétophones, des cassettes vidéo, des linguaphones ... de quoi progresser gaiement, comme en rêve. Et pourtant, ceux de mes collègues qui enseignent l’anglais m’assurent que jamais la bonne volonté et l’appétit de savoir des élèves n’ont été à si bas niveau. Curieux, non ?

F. BARON in Bulletin des Anciens et Anciennes des Lycées d’Algérie - Lycée Lamoricière - 1997

Voir en ligne : http://alysgo-apollo.org/lycee-lamo...