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RENE MAYER : Les Juifs en Algérie et le "Décret Cremieux"

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Cet article provient d'une source externe à NJ sans autorisation mais à titre d'information.

L’un des poncifs malveillants les plus répandus sur ceux qu’on nomme ici "les Pieds-noirs" concerne le prétendu favoritisme dont auraient bénéficié une partie d’entre eux, les Juifs d’Algérie.

On les accuse d’avoir, en 1870, grâce à leur connivence avec un Juif métropolitain, membre du gouvernement provisoire replié à Tours, obtenu un traitement de faveur qui aurait été refusé à leurs compatriotes musulmans. On les aurait favorisés en leur accordant la nationalité française tandis que les Arabes restaient des citoyens de seconde zone dépourvus de droit de vote.

Il importe de couper les ailes à cette idée reçue qui, comme tant d’autres rumeurs, ne se propage avec tant de facilité qu’en raison des douteuses satisfactions qu’elle procure à ceux qui la répandent.

Ici, ceux qui s’activent à propager ces contre-vérités constituent un étrange amalgame composé de nationalistes algériens, fonctionnaires en charge d’entretenir les mythes fondateurs du FLN, d’idéologues français dont l’anticolonialisme est le seul bréviaire, et d’antisémites du modèle le plus ordinaire.

Un peu d’Histoire est d’abord nécessaire. Quand, le 3 juillet 1830, les hommes du Maréchal de Bourmont pénètrent dans Alger, le peuple juif voit en eux des libérateurs. Ils vont lui permettre d’échapper à la relégation séculaire dont les Juifs sont victimes. En application d’une charte attribuée au Calife Omar, successeur de Mahomet, les "gens du Livre" doivent payer la dîme (on les nomme "dhimis"), et porter un signe distinctif, jaune pour les juifs (déjà !) et bleu pour les chrétiens. Leurs bâtiments doivent être moins élevés que ceux de leurs voisins musulmans. Si un musulman les frappe, ils ne doivent pas répondre. Il leur est interdit de pratiquer publiquement leur religion et bien entendu d’approcher une femme musulmane. etc. ...

Les Français font entrer deux Juifs au Conseil municipal d’Alger et un autre à la Chambre de commerce. La communauté juive est réorganisée par les Français sur le modèle des communautés juives de Métropole. Les Juifs d’Alger deviennent de chaleureux partisans d’une intégration puis d’une assimilation qu’ils ne cesseront plus de réclamer.

Or en France, Napoléon 1er avait, le 9 février 1807, convoqué l’instance suprême de la religion juive, le Grand Sanhédrin composé de soixante et onze docteurs de la foi. Cette Assemblée avait "décidé" que si, dans les lois de Moïse, les dispositions religieuses sont, par leur nature, absolues et indépendantes des circonstances, rien en revanche ne s’opposait à ce que les dispositions politiques soient alignées sur la loi française.

Les dispositions "politiques" étaient détaillées dans cette "décision". Il s’agissait de la polygamie, de la répudiation, du partage des héritages etc. en fait, celles du Code civil. Par cette décision, le Grand Sanhédrin français faisait traverser le Siècle des Lumières à tous les Juifs de France. Il permettait à Napoléon 1er d’accueillir les Juifs au sein de la Nation française

Les Juifs d’Algérie calquèrent rapidement leur attitude sur celles de leurs coreligionnaires métropolitains.

Texte intégral en PDF, page 4

En 1864, lors de son deuxième voyage en Algérie, Napoléon III, répondant aux voeux de bienvenue du Grand Rabbin d’Oran, Napoléon III déclara : "J’espère que bientôt les Israélites seront citoyens français".

C’est l’année suivante que parut le Senatus Consulte du 14 juillet 1865. Aux trois ensembles de la population algérienne qui ne la possédaient pas encore, à savoir les musulmans, les juifs et les étrangers, il offrait la citoyenneté française.

Il commençait par s’adresser aux musulmans :" L’indigène musulman est français ; néanmoins il continue à être régi par la loi musulmane (…). Il peut, sur sa demande, être admis à jouir des droits de citoyen français ; dans ce cas, il est régi par les lois civiles et politiques de la France". En tant que sujet français, le musulman pouvait être admis à servir dans l’armée et dans la fonction publique.

Mais s’il choisissait de devenir citoyen français et d’être "régi par les lois politiques de la France",il disposait des droits civiques de n’importe quel Français.

L’article 2 traitait de l’indigène israélite. Sa rédaction était rigoureusement identique à celle du premier, à ceci près que "musulman" y était remplacé par "israélite".

L’article 3 s’adressait aux étrangers. Il stipulait simplement que "l’étranger,agé de plus de 21 ans, qui justifie de trois années de résidence en Algérie, peut être admis à jouir de tous les droits de citoyen français".et il doit justifier être de bonnes mœurs ...

Ce sont donc exactement les mêmes possibilités qui étaient offertes aux musulmans, aux juifs et aux étrangers. On ne trouverait pas dans ce texte l’ombre du moindre favoritisme. La quasi-totalité des étrangers demandèrent à devenir Français. On les naturalisa par colonnes entières du Journal Officiel. Beaucoup de Juifs le demandèrent aussi,malgré les réserves que nous examinerons plus loin.


En revanche, dans leur immense majorité, la réaction des Musulmans fut négative.

En effet, être régi par les lois civiles et politiques de la France signifiait renoncer au "statut personnel". Celui-ci autorisait la polygamie, la répudiation, le partage inégal de l’héritage entre fils et filles etc. La plupart s’y refusèrent, quitte à rester de simples sujets. Obstacle encore bien plus insurmontable, les Oulémas jugèrent que renoncer au statut personnel musulman équivalait à une répudiation de la charia. Une sorte d’abjuration.

Or, en pays musulman, l’apostasie est un crime qui relève de la peine de mort. Seules quelques centaines d’Algériens musulmans eurent l’audace de prendre ce risque et de demander la citoyenneté française. Quand, plus tard, un double collège sera instauré, ces audacieux voteront avec les Européens dans le premier collège. Les autres constitueront le second collège.

La réaction des Israélites fut exactement à l’opposé de celle de la majorité des Musulmans. Depuis qu’ils adhéraient aux principes énoncés par la décision du Grand Sanhédrin français de 1807, l’application des dispositions du Code civil napoléonien ne pouvait heurter leur sentiment religieux. Elle ne soulevait que des problèmes pratiques.

Leur seule objection portait sur l’obligation que leur faisait le Senatus Consulte d’avoir à solliciter individuellement la qualité de citoyen français. Ils revendiquaient que cette qualité n’ait plus besoin d’être "accordée", qu’elle fut automatique. Ils demandaient l’assimilation intégrale.

La guerre survint. L’Empereur et son armée furent, à Sedan, faits prisonniers par les Prussiens. Paris fut encerclé. Le gouvernement provisoire s’échappa de la capitale pour se réfugier à Tours. Gambetta (un "Républicain", un homme de gauche) y détenait les portefeuilles de l’Intérieur et de la Guerre. Adolphe Crémieux y devenait Garde des Sceaux.
Le 24 octobre 1870, parut le décret déclarant citoyens français tous les Israélites indigènes d’Algérie.

Sous les mêmes signatures et à sa suite dans le même journal officiel, trois autres décrets portaient "organisation administrative de l’Algérie". Ils créaient trois nouveaux départements français à la tête desquels étaient nommés des Préfets assistés des conseils généraux déjà existants. On accuse parfois les Pieds-noirs d’avoir "inventé" l’Algérie française. Si "invention" il y eut, elle date du 24 octobre 1870 et fut signée Gambetta, Crémieux, Glais-Bizois et Fourichon. Nul Pied-noir parmi eux.

Durant la Grande Guerre, les citoyens français d’Algérie, quelle que soit leur origine, et les Français-musulmans se battirent admirablement pour la France, subissant d’affreuses pertes et méritant des panoplies de décorations. A la fin de la guerre, il sembla choquant de maintenir une quelconque différence entre ceux qui s’étaient si vaillamment battus au coude à coude. C’est pourquoi, dès le 4 février 1919, parut une loi qui, utilisant le cadre juridique offert par l’article premier du Senatus Consulte

du 14 juillet 1865, donnait l’assurance que : « Tout indigène algérien obtiendra la qualité de citoyen français » s’il remplit certaines conditions. Les premières de ces conditions étaient assez générales. Il fallait être monogame ou célibataire et ne jamais avoir été condamné. Il fallait également,remplir au moins l’une des conditions suivantes :- avoir servi dans l’armée, ou être titulaire d’une décoration civile ou militaire, ou savoir lire et écrire en français, ou détenir un emploi : fermier, commerçant, fonctionnaire, élu ou toute autre fonction sédentaire, ou être fils d’un indigène ayant obtenu la citoyenneté française alors que le sujet était déjà adulte.

La somme de toutes ces catégories constituait un ensemble tellement large que les auteurs de ce texte ont certainement pensé que toute la population musulmane accéderait progressivement à la citoyenneté française. Malheureusement cette loi se référait au cadre du Senatus Consulte de 1865. Comme ce dernier, elle impliquait donc une renonciation au statut personnel musulman. Elle n’eut guère plus de succès que le texte initial de 1865.


En résumé, alignant leurs positions sur celles des Juifs de France, les autorités religieuses régissant les Juifs d’Algérie ont considéré que, malgré les graves modifications qu’un tel changement de statut apporterait à la constitution de la famille et au partage des successions, la citoyenneté française était parfaitement compatible avec les dogmes de la religion juive.

L’accès à cette citoyenneté qu’ils réclamaient depuis la conquête de 1830, leur a été une première fois offerte en 1865, s’ils la demandaient à titre individuel. La communauté juive a alors revendiqué sa complète assimilation. Napoléon III était disposé à la leur accorder. Dans les circonstances dramatiques de 1870, ce furent des hommes qu’on peut considérer comme "de gauche" qui leur donnèrent satisfaction.

La citoyenneté française a également été offerte aux musulmans algériens. Une première fois en 1865, en même temps qu’aux Juifs et dans des conditions parfaitement identiques à celles qui ont été le même jour offertes à ceux-ci. Puis une seconde fois, d’une manière plus spécifique, en 1919. Les musulmans ont alors été les seuls bénéficiaires de la mesure puisque, pour les Juifs, c’était fait.

A chaque fois cette offre s’est heurtée à un obstacle dirimant : elle était subordonnée à l’abandon du statut personnel musulman. Ce statut a été considéré par les musulmans algériens comme un dogme intangible, incompatible avec le Code civil français. Ce dernier serait-il donc si mauvais ? Serait-il pire que l’actuel Code de la famille algérien qui est, lui, jugé conforme au Coran ?

En tout cas, il est certain que si, des trois réformes de 1865, 1870 et 1919, il est résulté une différence de traitement entre juifs et musulmans algériens, celle-ci ne doit rien à un prétendu "favoritisme" dont les Juifs auraient "bénéficié". Ni à une quelconque connivence entre Juifs algériens et un Juif français. Elle tient exclusivement aux réponses divergentes qui furent apportées par les deux communautés à l’offre commune qui leur a été présentée............

Chacun peut ainsi à sa guise et suivant son imagination, réécrire l’Histoire des relations entre la France et l’Algérie. Mais ce que personne n’a le droit de faire, c’est d’accuser les Juifs algériens d’avoir bénéficié d’un quelconque favoritisme ni d’avoir profité d’une connivence avec un coreligionnaire Garde des Sceaux pour obtenir un privilège qui aurait été injustement refusé à leurs compatriotes musulmans.

La nationalité française, ils l’ont voulue très fort. Ils en ont accepté les conditions. Par la place qu’ils ont prise ensuite, de 1914 à 1918, dans la défense de leur pays, puis de 1943 à 1945 dans la Libération de la France au sein de l’Armée d’Afrique, autant que par celle qu’ils occupent actuellement,[au sein de l’élite française, ils l’ont depuis amplement méritée.

René MAYER

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Les Juifs d’Algérie et le décret Cremieux
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Voir en ligne : http://clan-r.org/portail/Nouvel-ar...