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La "santé sociale" à l’épreuve du modèle libéral

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Cet article provient d'une source externe à NJ sans autorisation mais à titre d'information.

Bien des voix s’unissent pour construire aujourd’hui un modèle alternatif au modèle libéral. La critique d’une croissance sans conscience, d’un développement factice, d’une création de richesses aveugle au développement humain, d’un gaspillage dont le prix est l’exclusion, amènent à espérer une croissance utile, en harmonie tant avec l’évidence des besoins qu’avec les nécessités du désir. Cette conviction s’impose certes peu à peu devant les impasses du libéralisme, mais que faire ? Que faire quand les économistes officiels tels les médecins de Molière, s’agitent autour de notre pauvre société en criant "Lavement !" ou "Saignée !" sans voir le pauvre bougre s’anémier et s’alanguir ? Que faire, sinon affronter le modèle libéral en décrivant, pour pouvoir les déconstruire, les dispositifs qui encadrent et aliènent les populations, et les outils qui rendent opérant ces dispositifs ?

Les dispositifs en cause dans la souffrance au travail, au service d’une croissance sans conscience

Ces dispositifs, actifs à tous les étages de la société, sont spécialement toxiques dans le monde du travail. On voit ainsi apparaître, depuis l’offensive néolibérale des années 80, un nouveau type de contraintes appliquées au travail, visant à améliorer "la productivité des salariés". Ces nouvelles contraintes produisent mécaniquement plus de chômage, et donc plus de précarité. Mais elles entraînent surtout de plus en plus une souffrance de l’individu, dans l’entreprise publique ou privée, dont les effets délétères, aussi bien dans le champ social que dans le champ économique, sont largement déniés. À côté de la maladie entendue comme lésion des organes, il est nécessaire de considérer la santé dans un sens plus large, celui de la "santé sociale", en observant la présence envahissante de ces troubles qui minent l’individu et la société dans son ensemble, et que sont la souffrance au travail, la perte du sens au travail qui l’accompagne, les dépressions qui s’ensuivent avec leur cortège d’arrêts de travail, de médicalisation, de licenciements ou de démissions forcées, autant de troubles qui ont des conséquences funestes sur la productivité et la santé économique des entreprises.
Nous proposons ici de mieux comprendre la mise en place et l’entretien de cette souffrance au travail, en décrivant ce qui nous semble être les deux grands ensembles de causes à ce malaise :

  • la mobilité/flexibilité non consentie, tant géographique que professionnelle, qui traduit le manque de considération pour l’expérience professionnelle, le savoir-faire, le métier, la vie familiale et le parcours propre du travailleur.

  • l’exigence de résultats individuels au-delà de ce qui est possible, et la quantification de cette exigence, qui plongent le travailleur dans un permanent sentiment d’échec et d’intranquillité, et induisent une compétition perpétuelle et malsaine avec ses collègues.



Ces diverses exigences sont directement liées aux exigences quantitatives imposées aux salariés dans le seul but de rentabilité financière déconnectée de la réalité humaine de l’entreprise et de sa finalité. Comment obtenir un résultat à deux chiffres, voire seulement de 5 % par exemple, dans un contexte général de croissance à moins de 0,5 %, sinon en exerçant une pression insupportable sur les salariés ? Ajoutons que ces exigences trouvent dans le modèle libéral qui fait de la compétition et de la concurrence le prix du progrès, un puissant moyen de contrainte. Il nous semble important de bien observer ces dispositifs et de décrire les outils de ce management moderne, mis au service de ces exigences. On en propose ici trois, parmi les plus efficaces : l’évaluation individuelle et autres audits, les protocoles et la démarche qualité, et enfin la sécurité.

  • l’évaluation individuelle et autres audits, avec leurs objectifs chiffrés, est l’arme la plus quotidienne, celle qui encadre quantitativement le salarié.

  • les protocoles (ou process) et la démarche qualité privent le travailleur de toute liberté dans son acte, dont ils ôtent progressivement le sens. Il est affligeant de penser que la qualité d’un produit, qui est toujours le fruit de valeurs non marchandes (savoir-faire, goût du travail bien fait, patience), disparaît peu à peu avec la disparition de ces valeurs, emportées par ces protocoles quantitatifs, avec le nom usurpé de "démarche qualité".

  • la sécurité enfin, dans la dimension de contrainte que nous dénonçons ici. Il s’agit en fait, avec la disparition de la prise de risque, de la disparition de l’initiative individuelle. C’est parfois aussi la destruction du lien social à travers les mesures pseudo-sanitaires. Et enfin, c’est le prétexte utilisable dans n’importe quelle situation pour contraindre et faire plier toute résistance.



Et puis, comme le décrit la politologue Béatrice Hibou (La bureaucratisation du monde à l’ère néolibérale, Paris, La Découverte, 2012), le travail est envahi d’à-côtés, qui souvent prennent une part majoritaire du temps de travail, et qui éloignent du cœur du métier, obligeant à suivre des règles déshumanisées, à se plier inconditionnellement à des procédures, des règles intangibles de sécurité ou de qualité des tâches accomplies, et plus encore à vérifier et prouver que toutes ces règles ont bien été respectées, en remplissant des fichiers, en cochant des cases, en faisant du reporting, en évaluant le temps utilisé pour faire telle ou telle tâche, en organisant contrôle, audit et évaluation...

L’évolution du capitalisme vers une efficacité, une productivité, une performance toujours plus grande, ajoute justement Béatrice Hibou, se fait aujourd’hui à travers cette "culture des procédures" qui donnent le sentiment à un nombre croissant de personnes que leur travail perd une grande partie de son sens. Le paradoxe, c’est que cette inutilité, perçue par un nombre croissant d’employés, est considérée par les dirigeants d’entreprise comme l’expression même de l’utilité, de l’efficacité, et d’une productivité accrue.

Reconnecter le développement humain à la création de richesses

Ces dispositifs toxiques profitent seulement aux dividendes des actionnaires du capitalisme financier. Ils sont à l’origine de la dégradation de la "santé sociale". Cette "maladie sociale", nous la voyons dans la souffrance au travail, dans la perte de sens au travail, dans la perte des savoir-faire et de la dignité qu’ils apportent, et dans la dégradation de la qualité de vie de ceux et celles qui en sont les victimes. Là encore, comme pour le chômage de masse, les coûts sociaux sont immenses et bien entendu supportés par la collectivité et non par les financiers qui les provoquent. Si on ajoute à cela les conséquences délétères de cette politique sur la productivité et la vie même des entreprises, ainsi que sur la qualité des produits et des services aux dépens du consommateur, le bénéfice final a le visage d’un déficit amer, sauf pour une infime minorité.

Il est urgent d’opposer au modèle libéral un autre modèle social sous peine de voir émerger ici ou là des formes de plus en plus incontrôlées et violentes de rejet des institutions et même de la démocratie. Ce nouveau modèle se construit aujourd’hui dans la société en considérant les individus qui la composent avec la même attention que nous avons appris maintenant à considérer l’environnement naturel. Dans tous les cas, il s’agit de reconnecter le développement humain à la création de richesses, de promouvoir une croissance utile, au service des femmes et des hommes qui la créent par leur travail.

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