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La France est-elle en « faillite » ?

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Cet article provient d'une source externe à NJ sans autorisation mais à titre d'information.

La France vient de répudier officiellement la règle européenne selon laquelle le déficit annuel ne doit pas dépasser 3% du PIB, ni la dette totale (au sens de Maastricht) excéder 60% du même PIB. Nous en serons selon le gouvernement à 4,4% pour le déficit de 2014 et 4,3% en 2015. Quant à la dette, à fin mars 2014 elle se montait à 93,6% du PIB et la prévision est de 98% pour 2015. La France n’est pas pour autant en faillite, ni en cessation de paiement, et ne le risque pas dans un avenir proche, mais la situation ne doit pas s’aggraver et sur ce point les augures sont loin d’être favorables.

La France joue les déficits et la dette pour ne pas avoir à casser la croissance et ses efforts de compétitivité. Ce faisant elle tord les mains à l’Europe et mécontente les pays qui, comme l’Allemagne, font des efforts structurels importants pour se maintenir dans les « clous » de Maastricht. La France risque évidemment les sanctions prévues par le traité européen, mais nous nous posons ici la question de savoir si, bien plus dramatiquement, le pays risque la cessation de paiements [1].
Quelle est la situation de la France ?

À fin mars 2014, l’INSEE indiquait que la dette de la France atteignait 1.985,9 milliards d’euros, en augmentation de 45,5 milliards par rapport au dernier trimestre 2013. Le rapport au PIB a augmenté dans le même temps de 1,8 point pour atteindre 93,6%. Le gouvernement prévoirait pour 2015 un déficit budgétaire de 90 milliards et un rapport dette sur PIB de 98%, qui refluerait légèrement à partir de 2016. Pour assurer la seule stabilité du rapport entre la dette et le PIB, il est nécessaire que le taux de croissance de la première soit égal à celui du second. Il faut donc - que le déficit primaire (hors intérêts) n’augmente pas - et que la croissance permette de payer les intérêts.

Sur le second point, la masse des intérêts représente environ 2,3% d’un PIB autour de 2.000 milliards. Selon des prévisions déjà très optimistes d’un taux de croissance pour 2014 de 2% et donc avec un différentiel de 0,3%, la France aurait déjà été contrainte d’emprunter 6 milliards pour payer les intérêts (ce qui s’appelle un schéma de Ponzi, qui a notamment valu à Bernard Madoff une condamnation à perpétuité). Mais les dernières prévisions de croissance du PIB du gouvernement ont été révisées à la baisse, à 0,4% pour 2014 et 1% pour 2015. La France devrait alors emprunter 38 milliards sur la base 2014 et 26 milliards sur la base 2015 pour payer les seuls intérêts… Mais cela se passe sans qu’on ne demande rien aux Français, dans la mesure où, par exemple sur la base de 30 milliards, et d’un taux d’emprunt autour de 1,7% actuellement, l’État ne s’endette que de 510 millions par an pour payer les intérêts des intérêts, ce qui est parfaitement soutenable - en l’état actuel.

Bien sûr, la stabilité de la dette pourrait être assurée si le solde primaire était positif, c’est-à-dire si les recettes excédaient les dépenses courantes. Mais ce n’est nullement le cas puisque l’endettement primaire ne cesse d’augmenter : après 600 milliards sous la présidence Sarkozy, marquée par la catastrophique année 2009, les deux premières années du quinquennat Hollande se signalent par une augmentation de la dette de 130 milliards.

Le gouvernement table sur un déficit de 4,4% du PIB en 2014, et 4,3% en 2015. Comment croire en une stabilisation de la dette en 2016 ? La Cour des comptes affiche d’ailleurs son plus profond scepticisme dans son rapport sur les comptes de la Sécurité sociale. Est-ce pour autant qu’il faille tirer la sonnette d’alarme du seul fait que la France aurait atteint un seuil stigmatisant de 100% du rapport dette sur PIB ? À la suite des travaux de Rogoff et Reinhart, controversés mais corrigés, beaucoup d’économistes se sont attachés à déterminer si le passage d’un certain seuil de dette par rapport au PIB était nuisible à la croissance. Toutes les études concluent que plus la dette publique est élevée, moins la croissance est importante. Au-delà d’un rapport de 90%, la croissance ne serait statistiquement que d’un peu plus de 2%. Et l’économie se contracterait même, à supposer que les dépenses soient financées par l’impôt. Tous les économistes ne sont cependant pas du même avis, et on peut se demander si les conclusions citées ci-dessus ont intégré l’hypothèse de taux d’intérêt extrêmement bas, voire négatifs, qui est à l’oeuvre actuellement en Europe à l’initiative de la BCE.
Que peut-on se hasarder à conclure sur les risques pesant sur la dette souveraine de la France ?

Il est bien évident que l’on est contraint de faire des hypothèses sur les différents paramètres qui déterminent le sort de cette dette. À part l’incertitude sur la croissance, le paramètre essentiel est celui du taux d’intérêt auquel les prêteurs acceptent de continuer à prêter à la France pour lui permettre de « rouler » sa dette. À ce sujet c’est la politique très arrangeante de la BCE, elle-même en partie dépendante de celle de la FED américaine, qui constitue la raison fondamentale pour laquelle la France bénéficie de taux d’intérêts si bas. Cette politique conduit à inonder le marché de liquidités qui trouvent naturellement à se placer dans la dette souveraine de la seconde économie de la zone Euro. Et ce d’autant plus que les banques sont fortement incitées à prêter aux États plutôt qu’aux entreprises en raison des critères de solvabilité renforcés par les règles de Bâle III [2]. Il ne faut pas y voir autre chose, et en particulier pas la richesse du patrimoine de la France, qui est constitutionnellement inaliénable, à l’exception de son patrimoine financier. Bercy songe d’ailleurs sérieusement à céder pour quelques dizaines de milliards certaines de ses participations de l’État dans les entreprises françaises (ce qui en passant démontre bien l’inquiétude du gouvernement), mais cela n’est pas susceptible d’aller bien loin.

Comme ni la politique de la FED ni celle de la BCE ne semblent devoir s’inverser à court terme, il n’y a pas de raison pour que les taux d’intérêts soient amenés à remonter dans un avenir proche et que la France soit menacée de devoir cesser d’appliquer son schéma de Ponzi consistant à devoir emprunter pour payer ses intérêts. Il faut quand même rappeler que cette situation, par laquelle la BCE protège la France, est entièrement dépendante du maintien de l’euro et de celui de la France dans l’euro.

Les prêteurs sont attentifs à la prévision qu’ils peuvent faire de la trajectoire des pays auxquels ils prêtent. Et à ce sujet de très sérieuses considérations peuvent conduire à limiter à un avenir à court ou moyen terme les conclusions ci-dessus. À la fois parce que la France continue à souffrir d’un solde primaire négatif important, parce que le taux de croissance attendu de son PIB est faible et inférieur au taux d’intérêt payable sur la masse de sa dette, même au niveau très bas du taux d’intérêt actuel, et enfin parce que les efforts structurels promis en restent encore au niveau des paroles, la situation peut très bien s’inverser [3]. De même que tout schéma de Ponzi est nécessairement limité dans le temps, la France doit démontrer sa capacité à renverser la tendance actuelle et à commencer à stabiliser le montant de son endettement. On n’en voit guère les signes à l’heure actuelle.

Enfin, il faudra bien que les Français prennent conscience que ce sont eux qui par leurs impôts devront faire les frais des ponctions sur leur pouvoir d’achat exigés par le maintien d’un endettement très élevé se traduisant par des emprunts sans cesse plus importants nécessaires pour payer les seuls intérêts de la dette. Cela finira par constituer une part de plus en plus importante des dépenses publiques, jusqu’à rogner sur les dépenses consacrées au modèle social. Cela, les Français n’en sont pas encore conscients, et sont encore moins prêts à l’admettre. Mais pour combien de temps ?

[1] Nous ne nous attardons pas sur l’impropriété juridique du terme consistant à évoquer la « faillite » du pays. Un État n’est jamais en faillite, terme qui ne s’applique qu’aux commerçants et qui fait référence à une situation de cessation de paiements et à la procédure qui s’ensuit devant les tribunaux de commerce, avec possibilité de liquidation des biens et disparition de la personne morale, toutes choses hors de question s’agissant d’un État souverain. Il n’empêche qu’un État peut faire défaut sur sa dette.

[2] Le ratio de liquidité de court terme, qui vise à s’assurer que les banques disposent de suffisamment d’actifs liquides sur une période de 30 jours incite les établissements de crédit à acquérir de la dette souveraine plutôt que de la dette "corporate", plus risquée et moins liquide. De plus, du fait que le ratio de liquidité de long terme oblige les banques à disposer de ressources longues, le coût de leurs ressources devrait s’accroître et leur rôle d’intermédiation se réduire.

[3] C’est ce que traduit l’appréciation de l’agence Moody’s qui la semaine dernière vient de maintenir la note de la France AA1 avec perspective négative : « "En dépit de pressions négatives sur le crédit, le pays conserve des forces significatives, notamment la taille et la santé de son économie ainsi qu’un fardeau de la dette soutenable en dépit d’une érosion continue et graduelle de sa solidité économique et budgétaire".

Voir en ligne : http://www.ifrap.org/La-France-est-...