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Décision n°394215 du Conseil d’Etat du 8 février 2017

, par  Serge AMORICH , popularité : 7%

Il convient de lire avec attention la décision rendue par le Conseil d’Etat le 8 février 2017.

Serge AMORICH

Conseil d’État 

N° 394215 
ECLI:FR:CECHS:2017:394215.20170208 
 
Inédit au recueil Lebon 
8ème chambre
M. Stéphane Hoynck, rapporteur
M. Edouard Crépey, rapporteur public
SCP MATUCHANSKY, POUPOT, VALDELIEVRE, avocats

lecture du mercredi 8 février 2017
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Texte intégral
Vu la procédure suivante :

Mme C...A...et Mme B...A...ont demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner l’Etat à leur verser la somme de 1 750 000 euros au titre du préjudice matériel et, à chacune, la somme de 100 000 euros au titre du préjudice moral qu’elles estiment avoir subis du fait de leur rapatriement d’Algérie. Par une ordonnance n° 1103759 du 6 septembre 2012, le président de la 4ème chambre du tribunal administratif de Montpellier a rejeté leur demande. 

Par un arrêt n° 12MA04262 du 21 août 2015, la cour administrative d’appel de Marseille a rejeté l’appel formé contre cette ordonnance par MmesA.... 

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés le 23 octobre 2015 et le 25 janvier 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, Mmes A... demandent :

1°) d’annuler cet arrêt ;

2°) réglant l’affaire au fond, de faire droit aux conclusions de leur requête d’appel ; 

3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 4 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; 
- les déclarations gouvernementales du 19 mars 1962 relatives à l’Algérie, dites " accords d’Evian " ; 
- la loi n° 61-1439 du 26 décembre 1961 ;
- la loi n° 70-632 du 15 juillet 1970 ;
- la loi n° 78-1 du 2 janvier 1978 ;
- la loi n° 87-549 du 16 juillet 1987 ; 
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Stéphane Hoynck, maître des requêtes, 

- les conclusions de M. Edouard Crépey, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, avocat de Mme C...A...et de Mme B...A... ;

Considérant ce qui suit :

1. Mmes A...ont demandé à l’Etat la réparation des préjudices matériels et moraux qu’elles estiment avoir subis du fait de leur rapatriement d’Algérie et de la spoliation de leurs biens. Elles se pourvoient en cassation contre l’arrêt du 21 août 2015 par lequel la cour administrative d’appel de Marseille a rejeté leur appel contre l’ordonnance du 6 septembre 2012 du président de la 4ème chambre du tribunal administratif de Montpellier rejetant leur demande. 

Sur la responsabilité du fait des déclarations gouvernementales du 19 mars 1962 :

2. En premier lieu, à l’appui de leur demande de réparation, les requérantes ont mis en cause la responsabilité pour faute de l’Etat. Elles soutiennent qu’était fautif le fait de n’avoir prévu, lors de la négociation des déclarations gouvernementales du 19 mars 1962 relatives à l’Algérie, dites " accords d’Evian ", ni de période de transition suffisante permettant aux ressortissants français résidant en Algérie de préparer leur retour dans des conditions acceptables, ni des garanties juridictionnelles efficaces pour faire valoir leurs droits à indemnisation auprès des autorités algériennes. Cependant, les préjudices que les requérantes imputent au contenu des " accords d’Evian " se rattachent à la conduite des relations entre la France et l’Algérie et ne sauraient, par suite, engager la responsabilité de l’Etat sur le fondement de la faute. Il suit de là que c’est sans erreur de droit que la cour administrative d’appel de Marseille a estimé qu’il n’appartenait pas à la juridiction administrative d’en connaître. Ce faisant, la cour n’a, en tout état de cause, pas méconnu le droit au recours des requérantes, garanti notamment par les articles 6 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, dès lors, d’une part, que la responsabilité de l’Etat est susceptible d’être engagée, sur le fondement de l’égalité des citoyens devant les charges publiques, pour assurer la réparation de préjudices nés de conventions conclues par la France avec d’autres Etats et entrées en vigueur dans l’ordre interne, à la condition que le préjudice dont il est demandé réparation, revêtant un caractère grave et spécial, ne puisse, dès lors, être regardé comme une charge incombant normalement aux intéressés et, d’autre part, qu’il en va de même des préjudices qui seraient nés des déclarations gouvernementales du 19 mars 1962.

3. En deuxième lieu, les requérantes ont également mis en cause la responsabilité de l’Etat pour rupture de l’égalité des citoyens devant les charges publiques. Mais, dès lors, selon les énonciations non contestées de l’arrêt de la cour, que les préjudices allégués par les requérantes ne trouvaient pas, en l’espèce, leur origine directe dans le fait de l’Etat français, la cour administrative d’appel de Marseille n’a pas entaché son arrêt d’erreur de droit en en déduisant que la responsabilité de l’Etat ne saurait être engagée sur ce fondement et en rejetant comme mal fondées les conclusions présentées à ce titre. 

4. En troisième lieu, pour rejeter les conclusions tendant à l’engagement de la responsabilité de l’Etat sur le fondement du risque exceptionnel auquel auraient été exposées les requérantes à raison des " accords d’Evian ", la cour administrative d’appel a relevé que ces " accords " avaient prévu des mesures de protection de la personne et des biens des ressortissants français installés en Algérie. Contrairement à ce qui est soutenu, la cour, qui ne s’est pas estimée liée par l’interprétation des stipulations de ces " accords " donnée par le ministre des affaires étrangères, n’a pas commis d’erreur de droit, ni entaché son arrêt d’inexacte qualification juridique des faits en en déduisant, dans un arrêt suffisamment motivé, que la France n’avait pas exposé les requérantes à un risque exceptionnel de nature à engager la responsabilité sans faute de l’Etat.

Sur la responsabilité du fait d’une promesse non tenue : 

5. Les requérantes ont également mis en cause la responsabilité pour faute de l’Etat en arguant de la faute que constituerait la promesse non tenue par le législateur qui n’aurait pas adopté la loi prévue au troisième alinéa de l’article 4 de la loi du 26 décembre 1961 relative à l’accueil et à la réinstallation des Français d’outre-mer, aux termes duquel : " Une loi distincte fixera, en fonction des circonstances, le montant et les modalités d’une indemnisation en cas de spoliation et de perte définitivement établies des biens appartenant aux personnes visées au premier alinéa de l’article 1er et au premier alinéa de l’article 3 ".

6. Toutefois, le législateur ne pouvant lui-même se lier, une disposition législative posant le principe de l’intervention d’une loi ultérieure ne saurait constituer une promesse dont le non respect constituerait une faute susceptible d’engager, devant le juge administratif, la responsabilité de l’Etat. Il y a lieu de substituer ce motif, qui n’implique aucune appréciation de fait, à celui retenu par la cour administrative d’appel dans son arrêt, dont il justifie le dispositif sur ce point.

7. Il résulte de ce qui précède que Mmes A...ne sont pas fondées à demander l’annulation de l’arrêt attaqué. Leurs conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, dès lors, qu’être rejetées. 

D E C I D E :


Article 1er : Le pourvoi de Mmes A...est rejeté.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mmes C...et B...A..., au ministre des affaires étrangères et du développement international et à l’office national des anciens combattants et victimes de guerre.