Avez-vous pris votre abonnement 2024 ? Non ! CLIQUEZ ICI !
Ou alors participez avec un DON


Découvrez des pages au hasard de l’Encyclo ou de Docu PN
A compter du 25 mai 2018, les instructions européennes sur la vie privée et le caractère personnel de vos données s’appliquent. En savoir +..

Conversation à maton rompu...

, par  noreply@blogger.com (atoilhonneur corto) , popularité : 6%
Cet article provient d'une source externe à NJ sans autorisation mais à titre d'information.

https://1.bp.blogspot.com/-3KJ3-Efb...

JPEG - 72.8 ko

" Mon interlocuteur a dirigé pendant plus de trente ans quelques-unes des plus grandes prisons françaises et, sous les hauts plafonds de ce club parisien très fermé, je l’écoute me parler de son expérience et me donner son sentiment sur l’état actuel de nos établissements pénitentiaires.

L’entretien commence de manière plutôt intéressante. Mon interlocuteur connait bien, et pour cause, le monde des surveillants et celui des détenus, et il voit clairement les racines de certains maux.

Il me confirme ce que je sais déjà, par d’autres sources : « La mise en danger actuelle des personnels pénitentiaires est le résultat d’une politique qui a voulu dire aux surveillants : « écoutez, ne soyez plus surveillant. Vous êtes là pour être ami avec le détenu. Le détenu est un homme comme vous. Certes, lui a peut-être tué ou volé, mais cela pourrait arriver à n’importe qui. Ne soyez pas dans le rejet. Soyez dans l’empathie. Comprenez, et fermez les yeux sur les petites transgressions. Un paquet de cigarettes qui passe en contrebande, quelle importance ? Une relation sexuelle au parloir, qui cela gêne-t-il ? Surveillants, soyez humains. »

« Lorsque je suis rentré dans la pénitentiaire », poursuit-il, « tous les surveillants avaient un uniforme, avec des galons, comme à l’armée. Il y avait de véritables dynasties de surveillants, de père en fils. Le flambeau se transmettait avec fierté. A Clairvaux, par exemple, le quartier disciplinaire était appelé la « villa Suchet », du nom de la famille de surveillants qui, depuis des temps immémoriaux, dirigeaient cette partie de l’établissement. Les surveillants, qui étaient souvent d’anciens ouvriers agricoles ou d’anciens bûcherons, avaient un métier qui les valorisait. Ils étaient fiers de porter leur uniforme. Maintenant le surveillant qui se promène dans les coursives est en pull et se distingue à peine du détenu par le vêtement. Il est souvent diplômé de l’enseignement supérieur et n’attend qu’une seule chose : réussir un autre concours de la fonction publique pour quitter ce qui est pour lui un enfer. »

Bref, on a fait honte aux surveillants d’exercer une autorité sur les détenus, et parallèlement on leur a peu à peu retiré les instruments juridiques qui leur permettaient d’exercer cette autorité.

Les résultats de cette politique « humaniste », nous la voyons tous les jours, pour peu que nous ayons des yeux pour voir : des prisons passoires, où téléphones portables, drogue, argent, armes même, circulent largement, des surveillants démoralisés et apeurés, des criminels qui vivent en prison comme à l’hôtel, selon leurs propres dires, et qui appellent les gardiens « le room service ».

Nous la voyons aussi dans l’insécurité qui monte inexorablement et dans les zones dites de non-droit qui s’étendent tel une marée fatale.

Personne ne pourra dire que notre enfer n’était pas pavé de bonnes intentions.

La conversation se poursuit quelques temps sur ce thème et sur ce ton, et puis mon interlocuteur se livre à une confidence.

« Vous savez, lorsque je suis rentré dans ce métier, je l’ai trouvé très bien, et je me suis posé des questions. Il n’y avait personne dans ma famille à exercer un métier de sécurité, et je me suis dit « mais tu es peut-être quelqu’un de pervers, sadique, pour aimer ainsi un métier où l’on fait de la coercition. Alors j’ai voulu faire une psychanalyse. »

En entendant cela, je sens comme un signal d’alarme s’allumer dans mon crâne, mais je m’efforce de n’en rien laisser paraitre. Mon interlocuteur poursuit.

« Donc j’ai fait une analyse. Pendant cinq ans. Et puis avec mon analyste nous avons décidé d’arrêter, et lorsque je suis parti il m’a demandé : « Alors, pour vous c’est quoi le métier que vous exercez ? A quoi ça sert la prison ? » Et j’ai répondu : « Ca sert à donner du travail à des gens ». »

Fort heureusement mon interlocuteur ne remarque pas qu’à ce moment précis mes yeux viennent de sortir de ma tête et de tomber sur le plancher, où ils ont rejoint mes bras. Il continue :

« C’était ma position. Et ça l’est toujours. La prison ça sert à donner du travail à des populations qui sont éloignées de l’emploi, et à tout un tas de gens qui gravitent autour de la prison, toute une économie... Si la prison n’existait plus il y aurait une perte d’emploi énorme… mais sur le sens de la peine, pour le détenu et pour le gardien, j’avoue que je ne répondrais rien… »

Après cette fantastique déclaration, faite, j’en suis convaincu, en toute sincérité, la conversation se poursuivra longuement mais, d’une certaine manière, je n’écoute plus vraiment. Tout a été dit.

Certes, nul ne peut prétendre connaitre parfaitement ce qu’il y a dans le cœur d’autrui – et lui-même le connait-il ? – mais en réfléchissant à cette rencontre, en un sens très instructive, je me dis que j’ai été là en présence d’un cas presque pur de clivage mental, induit par certains tabous intellectuels.

Voilà en effet une personne point sotte, qui a eu plus de trente ans pour s’imprégner de certaines réalités élémentaires. Une personne qui sait que les détenus qui peuplent les prisons y sont très, très rarement par hasard. Une personne qui a côtoyé des brutes, des pervers, des méchants, et même quelques véritables monstres. Une personne qui sait très exactement comment une prison doit fonctionner si l’on ne veut pas qu’elle ressemble à la nef des fous. Mais une personne qui, malgré tout cela, est incapable de comprendre à QUOI sert une prison. Réellement incapable.

Parce qu’une prison, d’abord et avant tout, sert à punir. A châtier. A faire souffrir ceux qui ont mal agi. Parce que c’est ce que mérite leur mauvaise action. Un châtiment.

Elle sert aussi, bien sûr, à neutraliser les criminels et à protéger les innocents. Elle peut aussi, dans le meilleur des cas, servir à réinsérer le condamné. Mais sa fonction essentielle, et qui conditionne toutes les autres, c’est de châtier.

Un enfant de dix ans comprendrait cela. Mais une personne intelligente, ayant fait des études, est réellement capable de ne pas le comprendre, parce que, étant intelligente et ayant fait des études, elle a intégré cette idée perverse et presque contre nature que châtier, c’est très mal. Qu’il ne faut pas faire souffrir les criminels. Que c’est de la vengeance, de la barbarie, les heures les plus sombres de notre histoire, et autres choses du même genre.

Mon interlocuteur voyait très bien que l’on avait fait honte aux surveillants d’être, en quelque sorte, le bras séculier de la justice, d’être ceux qui administrent la punition prononcée par les tribunaux. Mais il n’avait pas compris – et à son âge ne comprendra sans doute jamais – qu’il avait été soumis exactement au même processus. Au même lavage de cerveau.

Savoir, et ne pas comprendre. Il y a là, pour moi, quelque chose d’inépuisablement fascinant.

Quand à l’origine de la crise profonde dont souffrent nos établissements pénitentiaires, mon interlocuteur m’avait donné une réponse bien meilleure que tout ce qu’il pouvait soupçonner."

Propos rapportés par Aristide Renou .

JPEG - 36.7 ko

D’accord, pas d’accord : atoilhonneur chez yahoo.fr

Voir en ligne : http://corto74.blogspot.com/2018/02...