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Cancer : le bilan accablant des médecines alternatives

, par  Anton Suwalki , popularité : 5%
Cet article provient d'une source externe à NJ sans autorisation mais à titre d'information.

Par Anton Suwalki

Dans plusieurs pays avancés, dont la France1 et les États-Unis2, l’incidence globale du cancer est en baisse sensible chez les hommes (mais pas chez les femmes), et la mortalité due au cancer a diminué de manière importante (davantage pour les hommes que pour les femmes).

Malgré ces résultats plutôt encourageants, cela reste un fléau. 385 000 nouveaux cas estimés en 2015 pour la France métropolitaine, près de 1,7 million attendu aux USA en 2017. Dans un contexte de défiance3 envers la médecine conventionnelle, c’est-à-dire scientifique, il est donc important de rappeler que celle-ci est la seule à étudier sérieusement les causes du cancer de manière à en réduire l’incidence (les cancers évitables), et à proposer des traitements qui permettent parfois la guérison ou au minimum augmentent l’espérance de vie des patients, comme en témoignent les résultats évoqués plus haut.

Les médecines « alternatives » à l’offensive

Or, sur le terrain du cancer comme dans les autres domaines, les partisans des médecines dites alternatives sont à l’affut. D’autant plus qu’elles ont fait progressivement leur entrée dans les hôpitaux (français, entre autres) sous forme, dit-on, de médecine complémentaire. Alternatives, douces, traditionnelles, autant de termes qui ne signifient rien d’autre qu’à l’opposé de la médecine conventionnelle, leur efficacité n’a pas été scientifiquement démontrée. Quelle qu’elle soit, une thérapie dont on peut établir qu’elle marche (avec un rapport bénéfice-risque acceptable) cesse d’être alternative.

Passe encore lorsqu’elles sont complémentaires et qu’elles répondent à une demande expresse du patient, se dit-on. Après tout, personne ne songerait à dissuader un malade croyant de prier… Certains médecins hospitaliers affirment par exemple pratiquer l’homéopathie en thérapie complémentaire parce que leurs patients le leur demandent. Mais peuvent-ils faire abstraction de leur propre avis sur cette pratique ?

La vigilance s’impose parce que ces pratiques entrées par la petite porte de la médecine en tant que complémentaires, se revendiquent alternatives, c’est-à-dire, si les mots ont encore un sens, susceptibles de remplacer les thérapies conventionnelles.

L’exemple du cancer

Dans le cas du cancer4, on trouve toute une littérature et des sites vantant les bienfaits des méthodes alternatives, dénonçant, sans surprise, « la chasse gardée du corps médical » , « les moyens violents » utilisée par la « cancérologie officielle », vantant « toute une panoplie de moyens efficaces, mis au point par des chercheurs ingénieux, mais dont les idées ne sont pas acceptées par l’idéologie dominante »…

Dans cette panoplie, on trouve à peu près tout, l’homéopathie, la médecine énergétique, la nouvelle médecine germanique de Hamer, les cures de jus de légumes (bio, cela va sans dire), le régime macrobiotique, la cigüe… À peu près tout, et surtout n’importe quoi, du moment que les preuves que cela marche n’existent pas.

Il est impossible de savoir combien de personnes se laissent berner par ces charlatans, et de ce fait refusent une thérapie éprouvée et validée par la « cancérologie officielle », ou la suivent trop tardivement, avant de se rendre compte qu’ils se sont fait berner. Or, en matière de soins du cancer, le temps est précieux.

Refuser la guérison ?

Si le nombre de victimes des médecines alternatives est difficile à établir, les preuves du danger qu’il y a à refuser les traitements conventionnels au profit de ces leurres s’accumulent petit à petit, en dépit des difficultés qu’il y a à collecter des données. Pour des raisons éthiques évidentes, on ne peut bien sûr pas effectuer des essais cliniques classiques traitements alternatifs versus traitements classiques ou placebo. L’exploitation des registres du cancer permet toutefois de pallier en partie ce problème.

C’est ce qu’a fait une équipe américaine du Département des radiothérapies de l’Université de Yale, qui vient de publier une étude dans le Journal of the National Cancer Institute5. Ainsi que les auteurs l’expliquent :

Le retard ou le refus du traitement conventionnel contre le cancer, lorsqu’il est fait en faveur de thérapies alternatives, peut avoir de sérieuses implications pour la survie chez les patients atteints de cancer. Cependant, il y a peu de recherche sur l’utilisation et l’efficacité des thérapies alternatives, en partie en raison de la pénurie de données, ou des réticences des patients à divulguer un traitement non médical. Pour remédier à ce déficit de connaissances, nous avons utilisé les quatre cancers les plus répandus (sein, prostate, poumons et colorectal) aux États-Unis de la base nationale de données sur le cancer (NCDB) entre 2004 et 2013 pour identifier les facteurs associés au choix de thérapies alternatives, et comparer les résultats de survie respectifs entre ces thérapies et les traitements conventionnels.

Les résultats, comme nous allons le voir, sont assez accablants.

Des résultats clairs et nets

Les auteurs se sont cantonnés aux cancers pour lesquels les taux de guérison sont raisonnables avec une thérapie conventionnelle, et ont exclu les patients atteints de métastases au moment du diagnostic. Ils ont au final comparé la survie de 280 patients ayant suivi exclusivement des traitement alternatifs à un groupe témoin de 560 patients ayant suivi un traitement conventionnel.

Au-delà de ces résultats, un des aspects intéressants de l’étude réside dans les différences sociologiques observées entre les deux groupes, qui tendent à confirmer ce que je nommerais un paradoxe bobo. Les patients ayant opté pour la médecine alternative étaient souvent plus jeunes, plus souvent des femmes, et avaient en moyenne un statut socioéconomique et un niveau d’éducation plus élevés. En outre, ils avaient ce qu’on appelle un score de comorbidité plus faible, c’est-à-dire un meilleur état de santé général en dehors de leur pathologie cancéreuse.

Malgré ce dernier point, tous cancers confondus, le risque relatif de décès était 2,5 fois plus élevé pour le groupe ayant suivi un traitement alternatif, de 5,7 pour le cancer du sein ; de 2,2 pour le cancer du poumon, de 4,6 pour le cancer colorectal6. Seules n’étaient pas significatives les différences observées pour le cancer de la prostate, probablement parce que dans le cas de ce cancer, la progression naturelle de la maladie est lente, et l’échantillon de l’étude trop petit, et le suivi trop court.

Comme l’ont remarqué les auteurs, certaines personnes du groupe ayant adopté un traitement alternatif au départ ont pu retourner dans un deuxième temps vers les traitements conventionnels. Il est donc fort possible que le préjudice réel causé par le choix de la médecine alternative soit plus grave que celui rapporté dans cette étude.

Au mieux inutiles, au pire néfastes

En France, quelques médias, trop rares, s’en sont fait l’écho. Le message est pourtant clair. Refuser un traitement conventionnel contre le cancer au profit d’alternatives illusoires réduit considérablement les chances de guérison.

Non seulement ces remèdes n’ont d’alternatifs que le nom, mais on peut même douter de leur efficacité lorsqu’ils limitent leur prétention à la complémentarité. Au mieux, ils ne fonctionneraient que comme des placebos. Il se pourrait toutefois que dans la panoplie exotique de ces remèdes, certains puissent au contraire aggraver l’état des patients. En 2012, des chercheurs coréens ont analysé cela pour des personnes en phase terminale du cancer7 : non seulement les remèdes à la médecine complémentaire n’augmentent pas les taux de survie, mais ils semblent se traduire par une détérioration de la qualité de vie : notamment, davantage de fatigue, une dégradation des fonctions cognitives.

Sur le Web.

  1. http://www.e-cancer.fr/Actualites-et-evenements/Actualites/Les-cancers-en-France-en-2016-l-essentiel-des-faits-et-chiffres
  2. https://www.cancer.org/research/cancer-facts-statistics/all-cancer-facts-figures/cancer-facts-figures-2017.html
  3. Défiance illustrée par la récente étude internationale (EBioMedicine. 2016) sur la confiance envers les vaccins : la France détient le triste record mondial de la défiance, avec 41% des personnes interrogées qui ne les trouvent pas sûrs.
  4. Pour des raisons qui me paraissent évidentes, aucun lien n’est donné. Les lecteurs trouveront d’eux-mêmes.
  5. Use of Alternative Medicine for Cancer and Its Impact on Survival, Journal of the National Cancer Institute, Volume 110, Issue 1, 1 January 2018, djx145, https://doi.org/10.1093/jnci/djx145
  6. Voir les intervalles de confiance très significatifs : (intervalle de confiance à 95% , 1,88 à 3,27) ; de 5,68 pour le cancer du sein (3,22 à 10,04) ; de 2,17 pour le cancer du poumon (1,42 à 3,32) ; de 4,57 pour le cancer colorectal (1,66 à 12,61).
  7. Effect of complementary and alternative medicine on the survival and health-related quality of life among terminally ill cancer patients : a prospective cohort (Annals of Oncology, Volume 24, Issue 2, 1 February 2013, Pages 489–494,https://doi.org/10.1093/annonc/mds469)

Cet article Cancer : le bilan accablant des médecines alternatives est paru initialement sur Contrepoints - Journal libéral d'actualités en ligne

Voir en ligne : https://www.contrepoints.org/2017/0...