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Bénin : La mafia du secteur funéraire

, par  Libre Afrique , popularité : 3%
Cet article provient d'une source externe à NJ sans autorisation mais à titre d'information.

Par Ariel Gbaguidi.
Un article de Libre Afrique

Dans son rapport 2017, l’ONG Bénin Diaspora Assistance, une organisation qui lutte pour l’hygiène funéraire, a révélé que la quasi-totalité des morgues ne dispose pas de l’agrément d’ouverture du ministère de l’Intérieur et de la sécurité publique (MISP).

Elles ne possèdent pas non plus de laboratoire post mortem, et les méthodes utilisées pour la conservation des corps sont catastrophiques et humiliantes. Des dénonciations confirmées par les conclusions d’une contre-enquête du MISP. Mais comment et pourquoi le pays a-t-il atteint ce degré d’aberration au su et au vu de tous ?

Des morts traités sans aucune dignité

En absence de laboratoire post mortem, les dépouilles sont conservées dans des chambres froides ou des containers frigorifiques. Leurs systèmes de froid sont souvent défaillants.

Les corps des personnes décédées de cause naturelle, de fièvre de Lassa ou de choléras sont tous enregistrés et jetés les uns sur les autres jusqu’à 1m50 de hauteur. En 2015, 198 corps ont été découverts dans ces conditions dans la morgue de Dangbo (non loin de Porto-Novo) par l’ONG.

Cette année, la même morgue s’est équipée d’une chambre froide de 12 places mais 36 corps y séjournent actuellement. Des morgues publiques du pays ont été également épinglées pour ces faits de surcharge hors normes. Le cas de celle du plus grand hôpital du Bénin en dit long.

Construite en 1962 pour 55 places, elle contient à ce jour 700 corps, ce qui multiplie les risques de contamination et d’empoisonnement des vivants, et par ricochet, d’épidémies meurtrières. Cete situation est dûe à plusieurs facteurs : les employés des morgues, y compris les gérants, sont formés sur le tas avec des outils inadaptés. Il n’existe pas d’école spécialisée formant des cadres qualifiés pour ce secteur.

Au plan national, il n’y a que 4 spécialistes en hygiène funéraire, tous formés en Europe. Certains, après leur formation, ne sont plus revenus partager leurs connaissances avec les acteurs locaux. D’un autre point de vue, les promoteurs des morgues ne sont pas suffisamment informés des exigences du secteur funéraire et prennent à la légère les phases d’études nécessaires avant et après autorisation d’ouverture de leurs structures.

De plus, la surcharge permet, entre autres, un retour rapide sur investissement. Malheureusement, ces fonds servent à financer d’autres activités à coloration politique plutôt que d’être utilisés à la modernisation des équipements.

Mainmise des élites sur le secteur

La situation, malheureusement, va de mal en pis, et les sanctions tardent à tomber. En effet, 31 des 43 promoteurs des morgues privées au Bénin sont soit des députés, des ministres (anciens ou en fonction), soit des élus locaux et parfois des hauts gradés de l’armée, tous inféodés au pouvoir en place. Ce secteur d’activité est réputé pour son fort taux de corruption.

Pour eux, ce secteur d’activité constitue non seulement une arme politique mais aussi un moyen de détournement des deniers publics. Lorsqu’une personne décédée est placée dans une des morgues appartenant à un politicien, son acte de naissance est acheté en vue d’être utilisé à l’occasion d’une élection.

L’ONG a indiqué dans son rapport que le nombre de suffrages rattachés à des personnes défuntes lors des dernières élections dépasse de loin 120 000 voix. Le Code électoral en vigueur n’a pas prévu de procédures strictes de radiation des personnes décédées inscrites sur la liste électorale.

Sur le plan financier, plus de 50 milliards de francs CFA de recettes échappent, chaque année, au trésor public et aux prestataires de services. Aussi, le trésor est-il régulièrement arnaqué par des fonctionnaires décédés, des veuves fictives et des entreprises créées aux noms de défunts.

Des crédits sont également contractés de cette façon frauduleuse auprès de banques et structures de microfinance, sans oublier les agences d’assurance, également arnaquées.

Ces détournements s’élèvent annuellement à plus de 100 milliards de francs CFA selon l’estimation de l’ONG, les actes de décès et les permis d’inhumer n’étant pas rigoureusement acheminés par les élus locaux au MISP comme l’indiquent les dispositions en vigueur ; ce qui a rendu caduque l’état civil.

La connivence est la règle

Dans le pays, les morgues sont gérées par le MISP qui est l’unique administration habilitée à délivrer l’agrément d’ouverture d’une morgue suivant des critères bien définis. Mais ces dispositions sont constamment violées, le plus souvent avec la complicité des inspecteurs corrompus et corruptibles du MISP, du ministère de la Santé ou d’autres ministères.

La responsabilité en incombe également aux maires des communes qui délivrent ces autorisations d’implantation, moyennant des pots-de-vin, même au détriment des intérêts de leurs administrés.

Plusieurs morgues ont ouvert leurs portes sans aucune pièce disponible, mais n’ont pas été inquiétées car leurs promoteurs, à la fois chefs d’entreprises et acteurs politiques, ont toujours soutenu le gouvernement, ou occupé des places stratégiques dans l’opposisiton.

Les propositions de nomination des cadres devant chapeauter les différents services de contrôles des morgues, qu’il s’agisse du MISP ou d’autres ministères, sont faites par ces mêmes acteurs politiques, lesquels, rappelons-le, sont soit des députés, ministres (anciens ou en fonction), soit des élus locaux ; et parfois des hauts gradés de l’armée en fonction au MISP.

À ce jour, aucune loi ne régit l’organisation de ce secteur. Le président de l’ONG Bénin Diaspora Assistance, Médard Koudébi, dit avoir remis une proposition de loi à un député, document qui a été malheureusement rangé dans un placard du parlement. Le vote d’une loi serait en effet un suicide pour ces acteurs politiques.

En somme, plus aucune autorité ni administration ne joue convenablement son rôle. Les agents des morgues sont très mal formés et la corruption gangrène le secteur. Un projet de décret visant à assainir ce milieu est en gestation. Mais des craintes subsistent concernant son application stricte. Comme l’exprime si bien le spécialiste Médard Koudébi, « le président de la République, Patrice Talon, n’a pas ces intérêts dans les morgues mais nombreux sont ses amis et alliés politiques de taille qui ont leurs intérêts dans les morgues ».

Sur le web

Cet article Bénin : La mafia du secteur funéraire est paru initialement sur Contrepoints - Journal libéral d'actualités en ligne

Voir en ligne : https://www.contrepoints.org/2017/0...