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Asie du Sud-Est : de Charybde en Scylla

, par  saker , popularité : 6%
Cet article provient d'une source externe à NJ sans autorisation mais à titre d'information.

2016-05-30_18h03_11


Tiraillée entre la Chine et les États-Unis, l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est hésite à s’engager pour l’un ou pour l’autre. Une attitude salutaire, mais mise à mal par la montée des tensions en mer de Chine du Sud.


Par Jack Thompson – Mai 2016 – Source Afrique-Asie

Soporifiques à souhait, les sommets de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (Asean) se concluent systématiquement par une déclaration prise à l’unanimité par les dix États membres. De très consensuels communiqués, peu à même de froisser les susceptibilités, même les plus sensibles. Le dernier sommet Asean-États-Unis des 15 et 16 février dernier n’a pas dérogé à la règle. L’Asean s’est bornée au rappel de « principes clés », tel son « engagement commun à promouvoir la coopération pour relever les défis communs dans le domaine maritime ». Un sommet des plus banals. À l’exception près qu’il ne s’est pas déroulé en Asie, mais à Sunnylands, en Californie. Une première qui éclaire cet organisme sous un jour nouveau.

L’Amérique en pays hôte

L’image peut sourire : Barack Obama, parangon de la démocratie, recevant les chefs d’État de l’Asean, dont une majorité de potentats, comme le général putschiste thaïlandais Prayuth Chan-ocha, l’inusable premier ministre cambodgien Hun Sen, ou encore le kleptomaniaque premier ministre malaisien Najib Razak… Mais que les critiques se taisent, car le président américain est limpide : « les États-Unis continueront à soutenir ceux qui œuvrent en Asie du Sud-Est pour faire progresser la règle de droit, la bonne gouvernance, des institutions responsables et les droits de l’homme pour tous.  » Au-delà de propos aimables envers ses hôtes, l’objectif du président américain est évident : rassembler derrière la bannière de l’oncle Sam cet ensemble aussi disparate que peu fonctionnel, afin de contrer la montée en puissance de la Chine.

La tâche est ardue, tant les positions à l’égard du géant asiatique divergent au sein de l’Asean. En prise directe avec l’expansionnisme chinois, les Philippins et Vietnamiens s’opposent au désaveu cambodgien et laotien, tandis que les Thaïlandais bottent prudemment en touche.

Depuis près d’un demi-siècle, la Chine et les autres États riverains de la mer de Chine du Sud (Vietnam, Brunei, Philippines, Malaisie, Taïwan et accessoirement Indonésie) s’affrontent dans une fabuleuse partie de go où les nerfs, la patience, mais aussi la célérité sont essentiels. Le go, ce jeu d’origine chinoise où le gagnant est celui qui encerclera l’adversaire au point de l’étouffer, ressemble à la stratégie maritime de Pékin.

Jeu de go

Comme sur un plateau de go, Pékin place en mer de Chine du Sud des pions (bateaux, garnisons) qu’elle pose sur des îlots, récifs et bancs de sable de manière définitive. Récifs après îlots, la Chine étend son emprise sur cette mer grande comme la Méditerranée en encerclant, puis en évinçant d’un seul mouvement, les précédents occupants, comme ce fut le cas aux Paracels. Sur le point de se conclure en faveur d’Hanoï, la guerre du Vietnam offrit l’opportunité à Pékin de tirer avantage de la déliquescence du gouvernement du Sud-Vietnam pour annexer l’archipel des Paracels en 1974.

Face aux pressions chinoises, Manille et Hanoï sont de plus en plus ouverts au réengagement américain dans la région.

En 1988, tandis qu’Hanoï était à son tour affaibli par la chute du bloc soviétique, la marine chinoise renouvela l’opération, en enlevant de force une partie de l’archipel des Spratleys. En 2012, c’est au tour des pêcheurs philippins de se frotter à l’agressivité de la marine chinoise, qui leur interdit l’accès à l’atoll des Scarborough. Clairement situé à l’intérieur des eaux territoriales des Philippines, cet atoll est aujourd’hui occupé par la Chine. Faute d’alternative viable, Manille a porté l’affaire devant la Cour internationale de justice de La Haye. Le jugement est attendu cette année. D’ores et déjà, la Chine a fait savoir qu’elle ne reconnaissait pas à la Cour internationale l’autorité d’interférer dans ses affaires intérieures et n’acceptera aucune de ses décisions.

Entreprenante, la Chine accélère depuis deux ans la construction d’îles artificielles en mer de Chine du Sud. Deux ont été dotées de pistes d’atterrissage à usage « civil » pour la « sécurité de la navigation ». Les images satellites indiquent que ces îles gagnées sur la mer ont vraisemblablement été militarisées, avec l’installation de système radar et de missiles sol-air.

Face aux pressions chinoises, Manille et Hanoï sont de plus en plus ouverts au réengagement américain dans la région. En mai prochain, Barack Obama se rendra au Vietnam. De leur côté, les Philippins rouvrent peu à peu leurs ports à l’US Navy. Dans une moindre mesure, la Malaisie, Brunei et l’Indonésie sont également favorables à une présence accrue de la 7e flotte américaine en mer de Chine du Sud. Quant au Myanmar, l’ex-junte et le nouveau pouvoir incarné par Aung San Suu Kyi sont au moins d’accord sur un point : soulager le pays de la pesante chape que l’ex-protecteur de la junte maintient sur l’économie en l’ouvrant au monde, est une bonne chose. Reste le Cambodge, le Laos et la Thaïlande qui, eux, sont beaucoup plus réservés sur l’ami américain.

Réticents à l’oncle Sam

En 2006, quand les bailleurs de fonds internationaux accordèrent 601 millions de dollars d’aide au Cambodge, la Chine posa à elle seule 600 millions de dollars supplémentaires sur la table. Cela, sans exiger la moindre contrepartie en matière de droits de l’homme, etc. Geste qui fit dire au premier ministre Hun Sen :« La Chine parle moins, mais fait beaucoup.  » En 2012 à Phnom Penh, Hun Sen utilisa son droit de veto pour empêcher l’Asean de porter à son agenda le sujet des tensions maritimes avec la Chine.

Pour le Laos, frontalier de la Chine, petit pays socialiste de 6,8 millions d’habitants sans accès à la mer, s’opposer ouvertement à l’expansionnisme chinois n’est simplement pas une option. Ce qui n’empêche nullement Vientiane d’accueillir Barack Obama à l’automne prochain. Ce sera la première fois qu’un président américain foulera le sol laotien.

Le froid persistant entre Washington et Bangkok n’est pas passé inaperçu des Chinois.

Cas plus ambigu : la Thaïlande. Si Bangkok est toujours le plus vieil allié de l’oncle Sam dans la région – le royaume servit de base arrière lors de la guerre du Vietnam –, les relations ne sont plus au beau fixe. En cause, le coup d’État de mai 2014 et l’attitude de la junte qui n’entreprend rien pour rétablir la démocratie. Ce froid persistant entre Washington et Bangkok n’est pas passé inaperçu des Chinois. Pékin s’est enfoncé dans la brèche en proposant son aide militaire : vente de sous-marins, et économique : construction d’un chemin de fer reliant Kumning, dans l’Ouest chinois, à Bangkok, commandes records de riz et latex.

Si Bangkok se garde bien de se fâcher ouvertement contre Washington, et vice-versa, l’instabilité chronique du Pays du sourire ne convient pas du tout au master plan américain de redéploiement sur l’Asie-Pacifique.

Le pivotement du monde

Orientation majeure de la politique étrangère des États-Unis après l’élection de Barack Obama en 2009, le « pivotement », ou « recentrement » des intérêts économiques américains sur l’Asie-Pacifique, peine à se matérialiser. Le redéploiement de 60 % de la flotte américaine sur le Pacifique avant 2020 et la mise en œuvre d’un traité de libre-échange transpacifique (TPP), qui exclut la Chine, traînent en longueur. Toutefois, les premières adhésions au TPP ont été signées le 4 février 2016.

C’est ici que le sommet Asean-États-Unis prend toute sa saveur. Washington a beau réitérer son engagement à protéger la « liberté de navigation » partout à travers le monde, l’Asean hésite à se ranger derrière sa bannière. Garder ses distances entre Washington et Pékin est une option avisée, mais assurément inconfortable. Personne ne souhaite être tiraillé entre une grande puissance jouant au go et une autre jouant aux échecs [plutôt au poker menteur, Note du Saker FR]. De plus, vues les tensions croissantes en mer de Chine du Sud, cette option risque d’être plus en plus illusoire. La poudrière peut s’embraser à tout moment. Tôt ou tard, l’Asean devra choisir son camp.

Jack Thompson

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Voir en ligne : http://lesakerfrancophone.fr/asie-d...