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1962 : Notre premier jour de l’An...en France métropolitaine !

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Cet article provient d'une source externe à NJ sans autorisation mais à titre d'information.

1962 - Adieu Algérie... Bonjour France !

Les Français nous attendaient, où, du moins, ils attendaient ceux qu’une propagande raciste avait inlassablement introduit dans leurs cerveaux depuis des mois, ils attendaient d’arrogants milliardaires, enrichis grâce à la "sueur des pauvres burnous", ils attendaient des colons habitués à être servis et à se servir, des énergumènes armés de revolvers, de mitraillettes et de bombes.

Eh ! Bien non, métropolitains, vous aviez devant vous des hommes et des femmes ruinés, dépouillés, épuisés, accablés par l’horreur des épreuves subies, déchirés par la perte d’une affection, d’un être aimé, désemparés dans cette France dont ils avaient tant rêvé mais qu’ils connaissaient si mal.

Il n’y eut pas alors de contact.

Comme l’avait écrit Maître Isorni : le cortège des vacanciers se rendant sur les plages de la Côte d’Azur, croisait le cortège des réfugiés, et il passait indifférent, fermant les yeux, avec, sans doute, le besoin inavoué de garder bonne conscience, devant tant de sang et de larmes répandus, devant leur incroyable indifférence face aux atrocités perpétrées en son nom.

Rien n’avait été préparé, aménagé, organisé, pour recevoir, diriger, conseiller, ce million de français qui débarquait presque, pourrait-on dire, par surprise.

En effet, on espérait, on était presque certains, que les « Pieds Noirs » resteraient en Algérie en grande majorité. Pouvait-on vraiment croire que les Français d’Algérie choisiraient le cercueil plutôt que la valise ? Le pouvoir aurait certes préféré nous voir demeurer chez Ben Bella, au risque même d’une extermination massive.

Devant cet envahissement qui "allait coûter très cher", ne cessait-on de répéter aux métropolitains, le pouvoir conçut de nouvelles armes : les départements méditerranéens furent interdits, et le flot des réfugiés repoussé vers le Nord.

L’accueil des services officiels fut glacial, on fit traîner en longueur l’attribution des aides, des subventions, des prêts, avec le secret espoir qu’ils allaient retourner en Algérie, devant le dépaysement, les difficultés d’implantation, l’augmentation subite et volontaire des prix demandés pour les commerces, les logements, etc. on espérait qu’il prendrait, enfin, conscience de l’erreur qu’avait été leur départ précipité.

Dans une certaine presse, on publiait chaque jour, après le chiffre des arrivants, le chiffre important des réfugiés qui retournaient en Algérie, car "ils" avaient parfaitement compris que la vie était possible là-bas. On affirmait que ces départs augmentaient sans arrêt et on les encourageait, quand ce n’était pas l’Algérie, on nous conseillait l’Amérique du sud, le Canada, l’Espagne, enfin n’importe où pourvu que ce ne soit pas la France.

Rien n’y fit, les "Pieds Noirs" réussirent "seuls" leur intégration.

Elle ne se fit pas "sans heurts, sans drames, sans douleur", comme l’avait déclaré le général De Gaulle, le 11 juin 1964 à Saint-Quentin, affirmant qu’elle avait été une réussite et s’auto félicitant en quelque sorte.

Qu’on nous laisse, au moins, nos drames et nos douleurs, si de heurts il n’y eut point.

"Sans drames", les meurtres, les enlèvements, les mitraillages des rues, des toits, des terrasses, des balcons, les 5000 disparus, dont on n’entendra jamais plus parler, les 60.000 harkis de l’armée française, désarmés par celle-ci, afin qu’ils puissent être mutilés, égorgés, ébouillantés, brûlés vifs.

"Sans douleurs", les visages ravagés, les sillons creusés par les larmes, de ces hommes, de ces femmes, qui attendaient de revoir l’enfant, le mari, le frère, en prison ou en exil, qui assistaient, impuissants, aux suicides de ceux qui ne pouvaient plus vivre dans cette France-là. De nos vieux qui disparaissaient avant l’heure, découragés et sans plus envie d’exister, loin du pays où s’étaient écoulées leurs plus belles années.

"Sans heurts", heureusement sans heurts, mais parce que nous étions brisés, nous qu’on avait arraché à nos foyers, à notre terre, à nos morts. Oui, heureusement pour l’avenir, il n’y eut pas de heurts.

2017 - Pour nous, qui avons connu 1962, aucune autre année ne pourra atteindre de plus hauts sommets dans la souffrance, dans les larmes, dans les regrets. Nous avons dû apprendre des mots nouveaux, dont nous ignorions le sens. Aux souhaits habituels de bonheur, de santé, de prospérité, de longue vie, d’existence heureuse, il nous avait fallu ajouter les souhaits d’amnistie, de réparation, d’indemnisation, de fin d’exil. Il nous fallait, surtout, apprendre à dissimuler certains de nos souhaits, comme un secret, des souhaits, il est vrai, qui n’étaient pas tout à fait chrétiens.

Toutes nos traditions s’étaient trouvées bouleversées par les événements.

Là-bas, avant 1962, chaque année nouvelle était, pour nous, l’occasion d’oublier, de pardonner : les histoires de familles repartaient à zéro, on effaçait tout et on recommençait. "Meilleurs vœux, bonne année" et voilà on se sentait heureux, comme neufs.

"Bonne année, bonne santé, mettez la main au porte-monnaie"... "Bonne année, bonne santé, la paille au cul pour toute l’année".

Dans un éclat de rire joyeux, la bande de gamins dévalait la cote de la "Bassetta".

Aux terrasses des cafés, les hommes la regardaient passer en riant, heureux.

Nous avons tous fait partie de l’une de ces bandes de gosses, nous avons tous laissé éclater notre bonheur, notre vitalité, cours Bertagna, avenue de Saint-Eugène ou de la Bouzaréah. Ces premiers jours de l’an neuf de notre Algérie, aujourd’hui perdue, où nous mettions si facilement nos soucis, nos ennuis, de côté, pour quelques heures. Comme nous étions heureux alors !

De par la volonté d’un seul homme tout a été balayé. Le chaos et la douleur, nous les avons connus, ils ne nous font plus peur. Le grand vent de l’histoire nous a jetés, comme feuilles mortes, sur des rivages inconnus pour un grand nombre d’entre nous, il a fait de nous de grands voyageurs, nous qui n’aimions pas trop nous éloigner de nos rivages si bleus, si chauds.

Grâce à cette rafale dévastatrice il y a un "Pieds-Noirs" dans chaque continent, un Pieds Noirs qui passera, comme nous tous, de 2017 à 2018.

Il boira sans doute un whisky dans un bar de la 42° rue, à New-York, triste et mélancolique, se souvenant de l’équipe joyeuse qu’il retrouvait, ce soir-là, dans un café de la Place d’Armes, à Blida.

Accoudé à son balcon, il assistera au déroulement frémissant et rythmé d’une longue procession dans une république d’Amérique du sud, cherchant en vain, dans cette foule colorée, le souvenir de Jeannot, Paulo ou Louis, qui venaient le tirer de table par un sifflement strident, sous sa fenêtre de la rue Valée, à Philippeville.

Mains dans les poches, il se promènera autour du Manneken-Pis, attendant qu’un groupe de fêtards bruxellois l’invite à se joindre à lui.

Dans le reflet de l’eau, il se reverra assis sur la marche du bassin de la Place d’Isly, à l’heure où le jour pointe, ennuyé d’avoir à rentrer si tôt.

Dans un cabaret de Madrid, sur la terrasse d’un café d’Alicante, sur une plage de Salou ou de Benidorm, il aura la chance de retrouver plusieurs Pieds Noirs et de trinquer : "A l’année prochaine... si Dieu veut".

Est-il nécessaire, d’ailleurs, de se rendre au-delà des frontières pour rencontrer des Pieds Noirs en exil ? Ne le sont-ils pas non plus dans cette bourgade de Moselle, noyés dans ces teintes noires et grises, sous le froid et la neige ? Ne le sont-ils pas non plus dans ces petites villes de Bretagne ou du Pas-de-Calais, ne le sont-ils pas également dans les grandes cités du Nord : Paris, Lille, Lyon ou Nantes ? A quoi croyez-vous qu’ils pensent, ces Pieds Noirs, qui remontent les Champs-Elysées couverts de lainages, les oreilles rouges de froid et le nez insensible au toucher ?

A quoi croyez-vous donc qu’ils rêvent en ce soir de nouvel an ?

Même plus à l’Algérie, quand ils laissent échapper, dans une buée glacée, un : "C’est pas possible, c’est pas une vie, ça". C’est au soleil qu’ils rêvent, à la mer bleue, au sable chaud des plages, à la partie de cartes, à l’anisette bien fraîche, aux copains qui sont partout sur la Côte ; et c’est pourquoi ils ont l’air si agressifs quand ils commandent un "grog" au garçon de cette brasserie des grands boulevards.

Oui, c’est à nous qu’ils pensent, à nous qui, dans notre malheur, sommes des privilégiés, à nous qui pouvons, en ces dernières heures de Décembre, commander à un garçon, sans nous les geler : "S’il vous plaît... un Cristal, avec des glaçons".

Si nous pouvions envoyer, à tous ces Pieds Noirs, ceux d’au-delà des frontières, ceux qui se trouvent disséminés aux quatre coins de la France, loin du Sud, si nous pouvions leur offrir un peu de notre soleil, de notre mer bleue, de notre chaleur, car notre amitié ils l’ont déjà, ce serait certainement le plus beau présent à leur faire.

C’est là notre vœu le plus cher, amis Pieds Noirs : illuminer quelques instants vos yeux, les faire briller "comme avant".

Tous ensemble par la pensée sur cette côte sud-est de l’hexagone, car si nous n’avons pas pu faire la France de Dunkerque à Tamanrasset nous avons fait de Perpignan à Menton, notre Algérie à nous.

PS. J’avais promis de vous faire sourire pour le jour de l’An. J’espère tenir ma promesse !

**

Sur la place des martyrs de la résistance (ex-place du gouvernement), Julien Thouret, grand reporter à la station périphérique Europe 1, débute son reportage.

- Nous sommes entourés par une foule immense et colorée, sous un brûlant soleil d’été. Je vais interviewer ce monsieur qui se dirige vers nous.

- Pardon, monsieur, que pensez-vous de l’Algérie indépendante ?

- Vous êtes qui, vous ?

- Julien Thouret d’Europe 1

- Europe quoi ?

- Europe « ouahad ».

- Ah bon ! Et qu’est-ce que vous voulez savoir ?

- Ce que vous pensez de la nouvelle Algérie.

- Ca dipend.

- Ca dépend de qui ?

- Quelle radio vous êtes ?

- Je vous l’ai dit : Europe 1

- Ah bon ! Et on vous écoute dans toute l’Europe ?

- Euh... oui ! Dans presque toute l’Europe.

- On vous entend en France, en Allemagne, en Italie ?

- Oui, bien sûr.

- Et en Espagne, en Angleterre, en Suisse ?

- Bien sûr, voyons.

- Aussi aux Pays-Bas et, peut-être aussi en Amérique ?

- C’est possible.

- Alors passez-moi le micro : "Au secours... au secours... au secours".

2018 - Je profite de l’occasion qui m’est offerte pour souhaiter une heureuse année 2018 à tous mes compatriotes rapatriés. Sera-t-elle heureuse ? Pleinement heureuse... Peut-être. Tous nos souhaits se réaliseront ils ? Peut-être.

L’essentiel étant que nous soyons tous présents pour nous souhaiter 2019 !

Voir en ligne : http://magoturf.over-blog.com/2018/...